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Une erreur capitale de Louis Riel

Dernière mise à jour : 12 avr. 2021

John A. Macdonald, premier ministre du Canada, réalisa à l’automne 1869, qu’il devait intervenir dans le Nord-Ouest. Le seul chemin praticable en hiver, pour s’y rendre avec une troupe de militaires, était de passer par les États-Unis ; il n’osa pas demander la permission au gouvernement américain. Il préféra attendre au printemps. Mais il dépêcha à la Rivière-Rouge trois émissaires, chargés d’amadouer les rebelles et de chercher un apaisement. Ils apportaient avec eux des lettres d’instructions et une lettre du gouverneur général du Canada, Sir John Young ; cette lettre contenait la promesse de l’amnistie des rebelles, si ceux-ci déposaient les armes et arrêtaient de poser des actes illégaux. Toutefois, ces agents du gouvernement n’avaient pas le mandat de négocier quoi que ce soit.


Le choix du premier ministre se porta sur l’abbé Jean-Baptiste Thibault, un vieux missionnaire, avisé et connaissant bien la région, sur le colonel Charles de Salaberry, dont le père s’était distingué à la bataille de Châteauguay, et sur Donald A. Smith, grand actionnaire de la CBH ; ce dernier était notamment mandaté de trouver une solution pacifique pour le transfert de la souveraineté du Territoire du Nord-Ouest, et cela même s’il fallait, insinua le premier ministre, soudoyer des gens en offrant des emplois ou de l’argent.


Les trois émissaires arrivèrent à Pimbina, au Dakota du Nord, la veille de Noël ; l’abbé Thibault se dirigea directement à l’évêché de Saint-Boniface, l’autorité ecclésiastique étant inapte à offenser l’autorité civile du nouveau gouvernement de Louis Riel. (Si les Etats-Unis avaient reconnu immédiatement ce nouveau gouvernement, il aurait pu le faire en vertu du droit international, à la condition que Riel l’ait demandé ; mais ce dernier préférait que son pays soit le Canada.) Les deux autres attendirent la permission d’entrer dans le territoire ennemi.


Quand Riel apprit l’arrivée de l’abbé Thibault, il décida que l’entretien se tiendrait au presbytère du curé Ritchot. Lors de la rencontre, l’abbé lui révéla le but de sa mission. Riel accepta que de Salaberry le rejoigne. Mais, il lui confisqua ses lettres de créance et copie de la proclamation d’amnistie.


Smith arriva à fort Garry le 27 décembre et le colonel le 5 janvier.


Les deux émissaires Thibault et de Salaberry furent invités à prendre la parole le 6 janvier, devant le conseil du gouvernement provisoire. Riel déplora que l’abbé Thibault ne possédât aucun mandat de négociation. Et pourquoi Riel n’a pas saisi les lettres de créance de Salaberry ?


« Selon lui (Thibault), le gouvernement est désireux de respecter les personnes et les biens et se propose de travailler à l’amélioration du pays.


Quant à Donald Smith, Riel lui demanda de prêter serment ; au lieu d’y consentir, il s’engagea à ne poser aucun geste à l’encontre du gouvernement provisoire ; le chef métis fut satisfait de cette déclaration. Mais quand il voulut vérifier son pouvoir de négocier, devant être accordé dans ses lettres de créance, il ne put les obtenir, car Smith les avait laissées à Pimbina ; Riel était déterminé à ne pas le laisser parler devant le conseil « tant qu’il n’aurait pas l’assurance qu’il avait reçu d’Ottawa la mission de négocier » Riel chargea Hardisty d’aller les chercher, en compagnie de deux guides. Le gouverneur Mactavish fit surveiller le mandataire par Pierre Léveillé et deux métis, se doutant qu’on voulait lui saisir les papiers. Au retour de Hardisty, Riel et l’abbé Ritchot tentèrent de s’emparer des documents. Pierre Léveillé les empêcha à la pointe du révolver.


Au Fort Garry, ceux qui s’opposaient à Louis Riel étaient aussi nombreux que ses partisans. Grâce au père Lestanc, à l’abbé Thibault et au colonel de Saleberry, l’affrontement fut évité ; Riel dut céder la parole à Donald Smith. Il donna l’assurance qu’à une assemblée où seront convoqués tous les habitants de la Rivière-Rouge, il lirait ses lettres de créance et qu’il exposerait les intentions du gouvernement fédéral. Louis Riel ne put s’opposer à ces propositions positives.


À la convention qui avait été fixée le 19 janvier ; malgré l’opposition de Riel à la lecture par Smith de la lettre du gouverneur général, John Young (cette ordonnance qui accordait l’amnistie à tous ceux qui déposeraient les armes), cette dernière est lue par Smith ; car tout le monde présent la jugeait d’intérêt publique. La lettre mentionne en outre que tous les droits de propriété seront respectés. On réclame la libération de tous les prisonnier, mais Riel s’y oppose pour le moment.


À la convention du lendemain, Smith continue la lecture de la lettre du gouverneur-général, mais elle ne contient que des intentions pieuses, sans aucune solution concrète. Riel propose qu’anglophones et francophones se choisissent chacun 20 délégués, afin d’étudier les propositions de Smith.


À la convention du 25 janvier, Louis Riel fit le discours suivant : « Nous ne sommes pas encore ennemis, mais il s’en est fallu de bien peu. Dès que nous avons commencé à nous comprendre, nous nous sommes unis pour exiger ce que nos compatriotes anglophones considéraient tout comme nous, être nos propres droits. Je ne crains pas de dire droits, parce que nous avons tous des droits. Nous ne demandons pas des demi-droits, mais bien tous les droits qui nous appartiennent. Ces droits, ce sont nos propres représentants qui vont les rédiger et, ce qui est encore mieux, messieurs, ces droits nous les obtiendrons ».


À la convention du 26 janvier, se réunirent les 40 délégués, choisis par les paroisses anglophones et francophones. Riel n’avait que 17 délégués ; il abandonna la première liste des droits qui avait été rédigée hâtivement le premier décembre ; un comité composé de trois anglophones et de trois francophones fut chargé de rédiger une nouvelle liste des droits revendiqués. Elle fut soumise à la convention qui l’étudia pendant plusieurs jours.


Aux conventions du 3 février et du 4 février, Louis Riel « propose l’entrée du Nord-Ouest dans la Confédération, non pas comme un territoire mais comme une province. » et « l’annulation de l’entente conclue entre le Canada et la compagnie de la baie d’Hudson pour le transfert de souveraineté et l’ouverture de négociations entre le Canada et le Nord-Ouest. » Ces propositions sont rejetées.


À la convention du 7 février, Smith annonce qu’Ottawa autorise la convention à dépêcher une délégation pour négocier la liste des droits. Riel est satisfait, veut toutefois que la convention reconnaisse le gouvernement provisoire. Les anglophones demandent au préalable l’obtention du consentement du gouverneur de la colonie, Mactavish. Des émissaires vont le lui demander ; il leur répond : « Pour l’amour de Dieu, ayez n’importe quelle forme de gouvernement qui rétablira l’ordre public. » À la demande s’il cède son autorité, il répond : « Je suis mourant et je ne déléguerai mon autorité à personne ». Ces propos rallièrent les anglophones, même s’ils étaient équivoques. Trois anglophones et trois francophones formèrent un comité ; pour formuler la nouvelle constitution.


Le 10 février, celle-ci fut soumise à la convention ; elle créait la création d’un conseil législatif de 24 membres également répartis entre anglophones et francophones ; un vote des deux tiers pour annuler le veto du président élu. Riel voulait à tout prix ce poste. Les anglophones le lui refusaient ; ils lui proposèrent de faire partie de la délégation devant négocier avec le fédéral. Pour leur plaire, il libéra immédiatement Mactavish et Bannantyne, prisonniers au Fort, et il promit de libérer les autres prochainement. Ces gestes lui concilièrent les anglophones, qui lui consentirent la présidence.


Ensuite, Louis Riel choisit les délégués, qui devaient aller négocier l’entrée de la colonie dans la Confédération. Ce furent son ami le curé Ritchot, Alfred Scott et le juge Black.


Ce gouvernement provisoire ne faisait par unanimité dans la population de la colonie ; les partisans de Schultz et tous les Canadiens venus de l’Ontario étaient déterminés à s’emparer du Fort Garry, à libérer les prisonniers et à renverser le gouvernement provisoire.


Alors pour apaiser les opposants à son gouvernement, Riel commença à libérer les prisonniers. Cependant, avant de les élargir, il tenta de convaincre les captifs de soutenir son gouvernement en leur faisant prêter serment, ou du moins à ne pas le combattre par les armes.


Le 4 janvier, il avait libéré neuf prisonniers qui avaient accepté ses conditions. Les autres ne cherchaient que l’occasion de s’évader. Le 9 janvier, une douzaine s’étaient échappés de Fort Garry, parmi lesquels se trouvaient Thomas Scott et Charles Mair ; ils avaient réussi à se réfugier à Portage-la-Prairie, distant de 75 kilos. D’autres évadés avaient été rattrapés par des cavaliers métis.


Le 23 janvier, le docteur John Christian Schulty avait sauté d’une fenêtre de sa prison, s’était blessé, et il s’était rendu jusqu’à Kildonan, situé à 9 kilos, en déjouant ses poursuivants. Il s’était procuré une arme. « Il vendrait chèrement sa vie », avait-t-il dit.


Dans la nuit du 14 février, un groupe armé, composé entr’autres de Thomas Scott, Charles Mair, sous la direction du major Boulton se rendirent chez Henri Coutu, à Winnipeg, où couchait parfois Riel, afin de le capturer ou le tuer. Mais le chef métis ne s’y trouvait pas. Pour sa part, Schultz s’était adjoint à un groupe de 200 à 300 hommes, dirigé par le major Boulton, en vue de s’emparer du Fort Garry. Mais c’était insuffisant. En outre, le clergé protestant, très influent, était opposé à la violence, décourageait les colons, lesquels craignaient déjà une guerre civile.


Sur les entrefaites, un arriéré mental qui s’était emparé d’un fusil, avait tué un homme, croyant qu’il était un ennemi. Une fois capturé, il tenta de s’enfuir, mais il fut abattu par ses gardiens. La mère du jeune homme souleva une propagande de paix dans la colonie. Elle eut un grand succès sur la population anglophone. Le parti Canadien du docteur Schultz commençait à avoir du plomb dans l’aile. Les forces de Louis Riel se consolidaient. Finalement, il finit par relâcher tous les prisonniers. Riel avait enlevé à ses opposants la principale raison de se rebeller contre lui. Mais des éléments lui étaient encore hostiles ; ils s’organisaient avec des partisans du docteur Schultz ; ils cherchaient des volontaires pour attaquer le Fort Garry. Dès lors, Riel fit renforcer l’emplacement et fit saisir toutes les armes et les munitions qui se trouvaient dans le village de Winnipeg.


Le 17 février, une troupe d’une cinquantaine d’hommes, dirigé par le major Boulton fut aperçue non loin du Fort Garry ; ils furent cernés par des cavaliers métis, sous la direction d’Ambroise Lépine et de O’Donoghue, et des hommes à pied. Boulton ordonna à ses hommes de ne pas faire feu. Les métis désarmèrent les anglophones au Fort Garry et les firent prisonniers. Thomas Scott était parmi eux. Charles Mair et le docteur Schulty, les plus dangereux n’étaient pas toutefois parmi les captifs ; car, craignant le pire s’ils étaient capturés, le premier se rendit à Portage-la-Prairie et le deuxième en Ontario.


Voici la réaction de John A. Macdonald à ce sujet : « La tentative stupide et criminelle de Schultz et du capitaine Bouton, écrivit-t-il gravement, pour reprendre le combat, a grandement augmenté la force de Riel. Par deux fois, il a réussi à écraser ceux qui tentaient de renverser son gouvernement. Les sympathisants américains vont commencer à dire que son gouvernement a acquis une légitimité et Riel s’en persuadera facilement lui-même.»


Le major Boulton passa devant le conseil de guerre et fut condamné à mort. Cette sentence jeta l’émoi dans la colonie. Toutes les personnes influentes firent appel à Riel pour que l’inculpé soit gracié : l’archidiacre Mclean, l’évêque anglican Mackay, le père Lestanc, John Sutherland, James Ross et le consul américain Oscar Malmros. Riel resta inflexible jusqu’à ce que Donald Smith le fasse céder. Car son inflexibilité était basée sur la conviction que l’exemplarité de la sentence renforcerait son emprise sur les gens et son pouvoir de négociation avec Ottawa. Mais quand Smith lui fit la promesse qu’il l’aiderait à rallier les anglophones à sa cause, et à convaincre les paroisses hostiles à choisir des représentants à son conseil législatif, Riel se rendit à ses arguments. En contrepartie, le chef Métis s’engageait à libérer tous les autres prisonniers.


Smith ayant tenu sa promesse et les délégués ayant été choisis, le gouvernement provisoire tint sa première réunion ; le conseil législatif était composé de francophones et d’anglophones en nombre égal.


Mais Riel avait pris l’engagement de libérer tous les prisonniers sans consulter les métis, desquels dépendait sa présidence et qui l’avaient appuyé. Il ne devait pas les décevoir et perdre leur soutien.


Or, un dénommé Thomas Scott, âgé de 25 ans, capturé une première fois, ensuite évadé, puis encore emprisonné, faisait la vie dure à ses gardiens du Fort Garry ; il insultait et méprisait ouvertement les métis français et les catholiques. C’était un irlandais du Nord, de haute taille, violent, tapageur, agressif et insolent. Il se rebella tant qu’il passa au conseil de guerre ; le tribunal composé de sept personnes le condamna à mort, à l’exception de deux jurés qui n’étaient pas d’accord avec la sentence. Celle-ci consterna toute la colonie.


Cette fois-ci, Louis Riel fut intraitable. Malgré les interventions pour obtenir la grâce de l’inculpé, celles du père Lestanc, du révérend George Young, ministre méthodiste, de Donald Smith. D’après lui, un exemple était nécessaire. Rien ne put le faire fléchir. En conséquence, Thomas Scott fut fusillé.


La sentence était excessive. Elle n’avait pas été unanime par les jurés.


Voici les réactions à ce sujet :


« Les paroisses anglophones furent abasourdies ».


« Ailleurs au Canada, Riel et Scott deviendront des symboles politiques, des cris de ralliement, qui opposeront francophones et anglophones pendant des générations. »


John A. Macdonald qualifia l’exécution de Scott de « crime barbare ».


Une publication des orangiste de Toronto dans le Globe :


« Attendu que Thomas Scott, notre frère, et membre de notre ordre, a été cruellement assassiné par les ennemis de notre reine, il a été décidé que nous, (…) membres de la L(oyal) O(range) L(odge) no 404), mettions en demeure le gouvernement de venger sa mort, et que nous engagions à sauver le territoire de la Rivière-Rouge de ceux qui l’ont fait verser dans le papisme et à traîner devant les tribunaux les meurtriers de nos compatriotes. »


Sir George Étienne Cartier déclara : « Elle (sentence) était, pour le moins, un acte d’abus excessif de pouvoir et de brutalité criminelle ».


La colonie de la Rivière-Rouge : « Le meurtre brutal de Scott a soulevé autant d’horreur et d’indignation au sein de la majorité des colons francophones et métis que chez ceux de sang anglais ».


Louis Riel venait de commettre une erreur capitale.


Source : Louis Riel, un Destin Tragique, par Bernard Saint-Aubin, les Éditions la Presse, 1985


Citadelle II, acrylique sur toile, 50,8 x 61 cm

Artiste peintre : Pierre-Émile Larose


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