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Rébellion de 1869-1870. Un arpentage qui met le feu aux poudres.

Dernière mise à jour : 26 mars 2021

Quand il arrive dans sa patrie natale, le 26 juillet 1868, Louis Riel constate que la communauté de Rivière- Rouge a subi un changement radical depuis son départ, il y a 10 ans ; il avait alors 14 ans. La colonie est envahie par de nouveaux arrivants, venus de l’Ontario, la plupart des protestants et des Orangistes, des antipapistes, et qui détestent les métis et les canadiens-français. Une forte proportion d’ontariens veulent annexer le Nord-Ouest au Canada. La population de l’Ontario compte 1,278,365 habitants alors que celle de la Rivière- Rouge en compte 12,000, répartis comme suit : 6,000 Métis francophones ; 4,000 Métis anglophones ; 2,000 autres soit européens soit canadiens.


Comment est née cette nation métisse ? En 1800, on estime que le nombre d’hommes blancs, célibataires, qui vivaient dans le Nord-Ouest se chiffrait de 1,500 à 2,000 ; ils étaient des employés des deux compagnies, celle de la Baie d’Hudson et celle du Nord-Ouest, lesquelles avaient le monopole du commerce de la fourrure. Ces hommes, sans partenaires féminines, cherchèrent naturellement à s’unir à des indiennes. Les mœurs de cette nation étaient libertaires relativement à la sexualité ; la polygamie existait, un homme ayant souvent plusieurs femmes ; la société était exempte de règles morales à ce sujet. Et le tempérament du canadien avait des affinités à celui des indiens ; ceux-ci sympathisaient mieux avec eux qu’avec les anglophones, dont le caractère plus flegmatique leur était moins avenant. Bien que les anglophones, eux aussi, contribuèrent à la race métisse, mais dans une mesure moindre.


Ainsi une race nouvelle naquit, une nation de gens portant dans leur sang deux ethnies différentes ; ce fut les Métis. Ils finirent par former une petite communauté « tissée serrée » à Rivière-Rouge, aujourd’hui le Manitoba.

Depuis plusieurs générations, ils vivent sur des fermes qu’ils ont bâties et défrichées sous la gouverne de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et cela sur des terres qui appartiennent à cette dernière, et dont ils ne sont pas propriétaires ; malgré de nombreuses revendications, plaintes et pétitions, adressées au gouvernement ou à la compagnie, la communauté n’a jamais reçu de réponse satisfaisante, qui puisse leur garantir des droits ; les gens de cette vallée se sentent oubliés.

(La CBH a obtenu une charte du roi d’Angleterre en 1670, (son cousin le prince Rupert en a été le premier gouverneur), charte qui accorde à la Compagnie des droits de propriété, de commerce et de colonisation sur une superficie de 3,9 millions de kilomètres carrés.)


Mais aujourd’hui, en 1868, des rumeurs courent que cette Compagnie qui leur a permis de coloniser le pays va céder et transférer leurs terres au gouvernement fédéral, dirigé par le premier ministre John A. Macdonald ; à qui les Métis ne font pas confiance.


En 1835, le gouverneur de la CBH, G. Simpson, avait bien tenté de régulariser les titres de propriété. Car les métis pratiquaient, disait-on le « squatting », soit une manière d’occuper une terre pour en devenir propriétaire, puis la céder « pour en prendre une autre et recommencer librement le même procédé, tout transfert de propriété devait, pour être valable, être officiellement approuvé par la Compagnie ». Mais la tentative du gouverneur échoua, car elle fut interprétée comme une atteinte à leur souveraineté.


Au printemps 1868, une invasion de sauterelles envahit les champs, une invasion encore plus dévastatrice que celle qui avait eu lieu l’été précédent. Les récoltes furent ravagées. La famine frappa les gens. Certains mangèrent leur cheval.


Afin de fournir de l’emploi aux gens de la région, Ottawa chargea le ministre des travaux publics, William McDougall, d’ouvrir un chemin, « reliant le lac des Bois à la rivière Rouge » ; selon le tracé déjà conçu par l’ingénieur, S.J. Dawson. Le ministre nomma John A. Snow directeur du chantier.


À l’automne 1868, Snow, avec une équipe d’ontariens arriva à Rivière-Rouge ; il n’avait pas reçu la permission de la CBH d’entrer sur le territoire, mais celle-ci ne s’opposa pas aux travaux, car il y avait déjà des négociations pour le transfert au fédéral des territoires du Nord-Ouest ; Londres faisait pression sur Ottawa pour qu’il acquît la Terre de Rupert ; par crainte que les Etats-Unis envahissent cette immense étendue. Une clause inscrite dans la Constitution de 1867 prévoyait cette éventualité, soit que le Canada annexe toutes les terres s’étendant au nord du 49ième jusqu’à l’océan Pacifique.


Snow embauche 40 travailleurs de la région. Salaire 20$ par mois. Grève d’une journée et demie avant que l’employeur obtempère aux demandes des grévistes, soit 25$ par mois ; ils exigent que les heures perdues leur soient aussi payées ; sous le refus de celui-ci, on l’empoigne et le menace de le jeter dans la Seine, dans l’eau, un pistolet pointé sur lui par un dénommé Thomas Scot. Louis Riel dira, plus tard, que des Métis avaient sauvé le directeur des travaux, en intervenant. Par la suite, cet individu sera condamné à mort par une instance judiciaire du Gouvernement provisoire de Riel pour une autre cause.


En mars 1869, Londres et Ottawa signent un accord à l’effet que la cession de la Terre de Rupert, par la Compagnie de la Baie d’Hudson au Gouvernement canadien, est fixée pour le premier décembre de la présente année. Pour le prix de 300,000 livres sterlings.


En juillet 1869, le Conseil de l’Assiniboine, représentant tous les habitants de la Rivière-Rouge, convoque une assemblée générale. On délibère à propos du sort de cette somme ; les uns prétendent qu’elle leur revient à titre de propriétaires terriens, d’autres s’y opposent, que ce n’est pas la solution… ; ils veulent que leurs droits soient garantis. L’assemblée se révèle un échec.


Les négociations pour ce transfert de propriété se sont effectuées sans la participation des Métis, sans les avoir consultés au préalable. Il existe beaucoup d’inquiétude et d’appréhension de la part des Métis au sujet de leurs droits de propriété. Le gouverneur de la CBH, William Mactavish, l’évêque de Saint-Boniface, Mgr Taché, l’évêque anglican de la Terre de Rupert, Robert Machray, tous déplorent l’attitude du gouvernement canadien dans cette affaire ; une mission impériale aurait dû être dépêchée sur les lieux, afin d’expliquer les intentions gouvernementales. Tous sont d’avis que l’affrontement n’aurait pas eu lieu si les gens avaient été bien informés.


En partant pour Rome, où un Concile avait été convoqué par Pie 1X, Mgr Taché dit au gouverneur William Mactavish qu’il informerait le fédéral de la situation critique et de l’agitation de la population à Rivière-Rouge. Le gouverneur lui répondit : « Monseigneur, je souhaite votre succès, mais je crains fort que vous perdiez votre temps et votre peine. J’arrive justement d’Ottawa et quoique que j’aie résidé quarante ans dans le pays et que j’en aie été quinze ans gouverneur, je n’ai pu faire accepter aucun de mes avis par le gouvernement canadien ».


Dans la capitale canadienne, en rencontrant Sir George Étienne Cartier et lui faisant part de ses inquiétudes, Mgr Taché rapporta plus tard : le ministre m’a dit « qu’il était à ce sujet beaucoup mieux renseigné que je pouvais l’être et qu’il n’avait pas besoin d’autres informations ».


Un mouvement fort organisé d’Ontariens (les Orangistes) prône purement l’annexion du territoire. En fait partie un homme d’affaires, John C. Schulz, qui s’était installé dans la région et s’était adjoint des partisans, opposés aux Métis ; il avait réuni autour de lui des Anglo-protestants. Ils tenteront de renverser le Gouvernement provisoire, instauré et dirigé par Louis Riel.


Au mois d’août 1869, les Métis voient débarquer à Rivière-Rouge une équipe d’arpenteur, dirigé par le colonel John Dennis, qui avait été nommé par le ministre des travaux publics du Canada, pour exécuter les travaux. Même si ceux-ci avaient été autorisés par les dirigeants de la CBH, à Londres, les territoires colonisés par les Métis n’appartenaient pas encore au gouvernement. Ce que déplore le gouverneur en poste de la Compagnie.


Cette invasion va irriter la colonie. En outre, les colons réalisent que l’arpentage s’effectue selon le système américain : on divise les terres en carré au lieu de suivre les divisions des terres, comme l’avait fait la CBH à l’époque de lord Selkirk, soit selon le système seigneurial, celui qui était appliqué au Québec : division en longues bandes, dont la section la plus étroite est bornée par une rivière ; afin que chaque ferme ait accès à l’eau.

Cette façon de procéder augmente les craintes des métis d’être dépossédés de leurs droits. Les tensions s’aggravent dans la communauté. Le colonel avertit Ottawa que l’arpentage est une cause d’extrêmes irritation et d’agitation, dans la population de la colonie. Toutefois, le colonel reçoit instruction de continuer « à arpenter d’après le plan adopté ».


L’abbé George Dugas informe Mgr Taché que les travaux d’arpentage mettent « le pays en feu », et que des colons de la Pointe de Chêne ont averti le colonel « de ne pas mettre le pied de ce côté-là s’il tenait à garder sa tête sur ses épaules ».


Au mois de septembre, William McDougall est nommé lieutenant-gouverneur de la colonie. Il entrera en fonction le premier décembre, le jour du transfert de la souveraineté au Canada. Pas diplomate, sans tact, arrogant, McDougall était le moins qualifié pour désamorcer une telle situation explosive. Mais par cette nomination, le premier ministre purgeait son cabinet d’un ministre qui devenait encombrant.


Le 28 septembre 1869, part, d’Ottawa pour Rivière-Rouge, un convoi d’une soixantaine de charrettes, avec bagages et trois cents fusils, avec son équipage : le nouveau lieutenant- gouverneur William McDougall, accompagné de sa femme, du capitaine D.R. Cameron et de Norbert Provencher, canadien-français, rédacteur de la Minerve, journal de Montréal.


Cette nouvelle alarme les Métis ; ils se préparent à se défendre comme si un ennemi était sur le point d’envahir leur patrie.


Peu après, au début d’octobre, Joseph Howe, ministre dans le cabinet de Macdonald, visite officieusement la colonie, afin de prendre le pouls de la population. Il refuse de rencontrer le Dr. Schulz et le parti canadien, sachant que ceux-ci méprisent les Métis, et que ces derniers les détestent. Il veut rencontrer Louis Riel ; celui-ci, s’esquive ; il prévoit, sans doute, qu’il n’obtiendrait aucune garantie, d’un ministre non mandaté, mais seulement des vieux pieux de calmer les esprits. Il parvint, toutefois, d’approcher le père Jean-Marie Lestanc, O.M.I., substitut de Mgr Taché ; il le supplie de modérer les Métis. Ils rencontrent quelques colons, il les assure « qu’ils jouiraient rapidement de droits politiques dès que l’union avec le Canada serait effectuée ». Le ministre s’était donné beaucoup de mal ; sa visite bien intentionnée n’apporta aucun résultat. Même il s’attirera un blâme (injustifié) du nouveau gouverneur, soit d’avoir semé la pagaille.


Louis Riel, le seul instruit dans la colonie, fils de Louis Riel (ce dernier avait défendu les intérêts du peuple dans l’affaire Sayer), s’imposa d’emblée comme leader des Métis. Il était éloquent et charismatique. « Sa piété fut également un autre atout auprès de son peuple qui était profondément religieux ». Un biographe anglophone le décrit comme suit : « Riel avait un caractère très complexe. C’était un personnage déroutant : il était fier, facilement irritable, un peu pharisaïque, sans humour, et boudeur ».


Le 11 octobre 1869, l’équipe d’arpenteur se mit en devoir de délimiter la terre d’André Nault, canadien français de Saint-Vital. Sous la direction de Louis Riel, des Métis interrompirent les travaux au dépit du chef de chantier, le colonel Dennis ; celui-ci porta plainte au gouverneur, William Mactavish, lequel convoqua Louis Riel à son bureau.


Source : Louis Riel, Un destin tragique, par Bernard Saint-Aubin, Les éditions la Presse ltée,1985


Sans titre 23, monotype : encre sur papier, 38 X 28 cm

Artiste peintre : Pierre-Émile Larose


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