Tereza avait été congédiée du magazine où elle travaillait comme photographe. On ne lui avait pas pardonné les photos qu’elle avait prises des chars russes, lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie. (printemps de Prague 1968). Des amis lui trouvèrent une place de barmaid dans un hôtel.
Le jour, elle doit promener Karénine, son chien. Elle craint pour ses jambes. Elle sait que le travail de serveuse cause des varices. Le soir, elle n’entre chez elle qu’à 1h30. Tomas dort ; il a une odeur de sexe féminin dans ses cheveux.
Derrière son comptoir, elle adopte le comportement d’une coquette vis-à-vis des clients. Elle a envie de chasser ce corps, qui lui paraît étranger, et de l’offrir aux clients. Elle a toujours refusé d’admettre la théorie de son mari, à savoir que « l’amour et l’acte d’amour sont deux mondes différents ». Qu’elle ait envie d’offrir son corps, en faisant l’aguicheuse ne signifie pas, pour elle, qu’elle consentira au coït. Elle voudrait avoir la légèreté de son mari, ne pas prendre l’amour au sérieux, ni au tragique, elle voudrait être comme tout le monde, ne pas être anachronique.
Puis un soir, un petit chauve l’accuse injustement d’avoir servi de l’alcool à un adolescent de 16 ans, qui l’a provoquée, lui a dit qu’elle avait de belles jambes, et qui s’était retrouvé soûl. Mais le petit monsieur s’était écrasé devant un grand type, qui avait pris la défense de Tereza en ayant observé toute la scène. Plus tard, le gaillard, revint au comptoir ; ils se regardèrent longuement dans les yeux.
Tereza est lasse de la vie que Tomas lui impose ; il est infidèle, il ne peut s’empêcher de coucher avec d’autres femmes ; de son côté, elle lui est fidèle par amour. Elle souffre. Elle est trop faible pour le quitter, et lui n’a pas le courage de l’abandonner. Elle est désespérée que son corps ne puisse à lui seul satisfaire les besoins de son mari. Continuer à lutter lui devient un fardeau trop lourd à porter. Elle est prise du vertige de tomber, de se rabaisser au niveau de la vie triviale de sa mère lors de sa jeunesse. (Nous aborderons cette partie de son existence dans un autre blogue). Elle regarde son corps dans le miroir. Il l’a trahi, lui est étranger. Elle n’y reconnaît pas son âme. « …eh bien ! Qu’il s’en aille ce corps ! » se dit-elle. Elle demande à son mari de l’aider.
Pour sa part, Tomas éprouve plein de pitié et de compassion à son égard ; une compassion douloureuse et désespérante. Il veut bien aider son épouse, il sait ce qu’elle veut en son for intérieur. Il va lui organiser un plan, pour la soulager en douceur de sa vie malheureuse. Ce sera dans une ambiance de rêve qu’il lui fera vivre cette expérience, qui s’apparentera à une fin de vie. Un symbole de l’euthanasie. Comme dans ce cas-ci, la volonté du sujet doit garder sa souveraineté jusqu’à l’ultime moment et ainsi sa liberté entière.
Tomas répond à sa femme qui lui a demandé de l’aide : « Je te comprends. Je sais ce que tu veux. J’ai tout arrangé. Maintenant, tu vas aller au Mont-de-Pierre ». Elle est angoissée, car elle ignore ce qui va lui arriver. Mais « elle ne pouvait pas désobéir à Tomas ». Désobéir à quoi ? Non seulement à se rendre au Mont-de-Pierre, mais à ne pas aller au bout de ce qu’elle voulait vraiment, et désobéir à tout ce qu’on lui demanderait, à tout ce que Tomas avait organisé pour elle ; elle mettait toute sa confiance en lui et sa vie entre ses mains. En se rendant au lieu indiqué, elle exécutait les ordres de Tomas ; elle lui promettait d’accomplir ce que l’on lui demanderait de faire, soit des choses qu’elle ignorait. Fébrile, elle monta la colline verdoyante, dans un grand silence. Habituellement, il y avait foule. Au sommet, la pelouse s’étendait à perte de vue, elle était « plantée d’arbres clairsemés ». Il y avait six hommes. Tereza sourit à l’un d’eux ; il tenait un fusil à la main. Celui-ci lui dit : « Est-ce votre volonté ? » L’ambiance est celle d’un rêve, bien que le romancier la présente d’une façon réaliste. Elle répond affirmativement. Il ajoute : « Votre volonté de mourir doit être sans équivoque ». Elle rétorque : « Oui, c’est ma volonté ». Mais elle veut passer après tous les autres destinés à la l’exécution. Chaque candidat choisit un arbre pour expirer ; un bandeau leur couvre les yeux. Trois hommes s’écroulent sous des coups de feu silencieux. À son tour, elle choisit de s’adosser à un marronnier. Elle refuse de se voiler les yeux, veut tout voir. Mais « désespérée de sa faiblesse », elle dit non au dernier moment. L’homme qui la visait abaisse son fusil. Elle descend la colline, sanglotant, se disant que « Tomas ne lui pardonnerait pas d’avoir manqué de courage ». Elle croit qu’elle l’a trahi. Dorénavant, il ne peut plus l’aider, ce ne sera qu’un autre qui pourra le faire.
Elle refusa deux invitations du grand type, avant de consentir à un rendez-vous chez lui, à l’insu de son mari Tomas. N’était-ce pas son mari qui l’envoyait chez cet homme, lui qui ne croyait qu’en l’acte d’amour et non à l’amour. « Je te comprendrai, je sais ce que tu veux », avait-t-il dit. En chemin, elle se disait qu’elle serait seulement coquette ; elle ne donnerait son libre consentement qu’au dernier moment ; elle se réservait de dire le « non » à l’instant où le grand type passerait à l’acte. Au moment venu, le type la prit de force, même si elle se débattait et lui crachait au visage. La violence exercée sur Tereza lui procura un orgasme tel qu’elle voulut le rencontrer à nouveau mais sans succès. Elle craignit, ensuite, qu’il fût un espion, qu’ils aient été filmés par une caméra cachée. Peur que Tomas apprenne d’une manière ou d’une autre son infidélité.
Quelques jours après, Tomas et Tereza firent une escapade, en voiture, dans une ville d’eaux, éloignée de Prague. Son mari rencontra un paysan qu’il avait déjà soigné. Il leur raconta que tout le monde désertait la campagne. L’idée d’aller vivre à la campagne revit dans l’imagination de Tereza. Elle n’osera à parler à son mari que plus tard ; lorsque, devenu laveur de vitre, il aura des douleurs à l’estomac.
Mais pour l’heure, Tereza est abattue et malheureuse ; elle pense à l’homme au fusil du Mont-de-Pierre. Pour en finir avec ses souffrances.
Tomas ou l’auteur fait remarquer que l’union sexuelle de l’homme et de la femme est liée à un acte violent. Nous aborderons dans un autre blogue le sujet relatif au libre consentement dans le coït.
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