Suite à l’interruption de l’arpentage par les hommes de Louis Riel, le gouverneur William Mactavish de la colonie convoqua le chef des Métis à son bureau. Il l’avertit que les troubles qu’il causait étaient inutiles, que ce n’était pas lui qui avait fait venir les arpenteurs, que toutes les décisions se prenaient à Londres ; qu’il le veuille ou non le territoire du Nord-Ouest serait transféré au gouvernement canadien ; qu’il ne pouvait lui-même donner aucune garantie en ce qui concernait les droits des Métis. Riel ne fut pas pénalisé. Le gouverneur ne voulait pas jeter de l’huile sur le feu en le sanctionnant, d’autant plus qu’il manquait d’effectifs armés pour contenir une révolte.
Le 16 octobre, le curé Ritchot de Saint-Norbert, un patriote qui appuie les Métis, leur permet de se réunir au presbytère. (Ce sera leur quartier général ; c’était un homme brillant, étudiant au collège l’Assomption, fondateur de Sainte-Agathe-des-Monts, conseiller de Riel). Ces derniers fondent le Comité national de Rivière-Rouge ; John Bruce est élu président et Louis Riel secrétaire. Le Comité voulait avoir l’appui de toute la population pour que leurs revendications soient mieux entendues des autorités.
La résistance était engagée.
L’administrateur du diocèse Jean-Marie Lestanc et tous les prêtres et religieux appuyaient les Métis, considérant que leurs revendications étaient justifiées. Ils refusaient toutefois d’intervenir en leur faveur ou en leur défaveur dans les sermons. Mgr Taché considérait dans des « textes imprimés » que les Métis faisaient partie intégrante de la colonie et qu’ils se trouvaient en danger.
Le 20 octobre, ces derniers apprirent que le convoi de William McDougall, lieutenant-gouverneur désigné de la colonie (lequel venait remplacer le gouverneur Mactavish en poste), contenait dans ses bagages beaucoup d’armes. Le lendemain, Janvier Ritchot était dépêché auprès de W. McDougall avec une note lui intimant « l’ordre de ne pas entrer sur le Territoire du Nord-Ouest sans une permission spéciale » du comité. Une barrière fut dressée sur la route qui venait des Etats-Unis, notamment de Pimbina, par où transitait le convoi de McDougall.
Ces gestes de la part des hommes de Riel eurent pour effet de radicaliser davantage l’opinion de la population, accentua la division entre francophones et anglophones. Ces derniers étaient presque tous, soit des immigrants écossais et irlandais ou des ontariens et orangistes ; ils gravitaient autour du Dr. Schultz, le tenancier d’une pharmacie à Winnipeg ; appartenaient à ce groupe les half-breeds, plus modérés ; tandis que les autres étaient complètement opposés à Riel.
Le 25 octobre, le Conseil d’Assiniboia, gouvernement légal de Rivière-Rouge, convoque Louis Riel pour lui demander raison. La réponse de ce dernier se résume ainsi : « Ses compatriotes refusent l’imposition d’autre gouvernement sans avoir été consultés ; ils veulent des délégués pour discuter des termes et conditions de l’entrée de McDougall sur le territoire ; qu’ils réalisent que le nouveau gouvernement les bannira du pays qui leur appartient.
Le Conseil essaya de persuader Riel de baisser les armes ; mais il n’avait pas une police adéquate qui puisse s’opposer aux hommes de ce dernier.
Le 30 octobre, quand Janvier Ritchot, l’émissaire du Comité remit à McDougall la note qui l’interdisait d’entrer sur le territoire, celui-ci avait déjà traversé la frontière et s’était installé à un poste de la CBH, situé à trois kilomètres des lignes. Cet avis rendit le lieutenant-gouverneur furieux.
Le jour suivant, des Métis armés lui enjoignirent de partir, tout en lui permettant de passer la nuit au poste.
Deux hommes, le capitaine Cameron et Norbert Provencher, qui avaient été dépêchés, comme un avant-garde, au Fort Garry, furent arrêtés à la barrière par des Métis armés et reconduits à la frontière sous escorte.
Le 2 novembre, Riel et ses hommes armés s’emparent de Fort Garry, aux dépens de la CBH, qui manquait d’effectifs pour se défendre, ce qui rendait le gouverneur Mactavish impuissant. Ceux qui contrôlaient cette place forte dominaient la colonie. Cowan, son commandant, eut beau protester, Riel lui répondit que c’était pour prévenir un danger réel. Les Canadiens s’en seraient sans doute emparer si Riel ne les avait pas pris de vitesse.
À présent le chef Métis veut que les deux partis opposés dans la population s’unissent afin de renforcer la position des insurgés, en vue des négociations des conditions du transfert du territoire, avec les autorités.
En conséquence, Riel invite, au moyen d’une proclamation, la population anglophone et francophone à se choisir 12 délégués chacune, en vue d’une convention au Fort Garry pour la date du 16 novembre. Dans le but « d’adopter des mesures dans l’intérêt des deux groupes linguistiques ».
Les anglais sont mécontents que leur arrivée soit saluée par des coups de canon. Ils réclament de changer de président et de secrétaire. Ceux qui sont en poste, Bruce et Riel, refusent.
Les débats se feront entre Riel et un dénommé Ross.
Ce dernier, avocat et journaliste, est un half-breed, c’est-à-dire un métis anglais. Il représente les opinions des Canadiens. Elles peuvent se résumer comme suit :
Les Canadiens préconisent l’union des francophones et des anglophones à Rivière-Rouge, (mais cette déclaration de Ross mécontente les partisans du Dr. Schultz, qui prônaient la scission et tentaient de rallier à leur cause les indécis) ; ceux-ci demandent aux francophones de déposer les armes comme le demande le gouverneur Mactavish (la lecture de cette réclamation avait été faite pendant l’assemblée) ; les moyens employés sont inconstitutionnels-« Tout sujet loyal n’a qu’à obéir » « La Reine autorise monsieur McDougall comme il lui plaît » ; monsieur Mactavish représente la Reine, l’occupation du Fort va à l’encontre de sa volonté ; vous savez que vous devez évacuer le Fort, votre refus constitue un acte de rébellion ; vous faites semblant de reconnaître le gouvernement d’Assiniboia.
À ces arguments ceux de Louis Riel peuvent se résumer comme suit :
Nous nous somme emparés du Fort Garry pour les gens du pays ; nous refusons que des étrangers viennent s’y établir en maître absolu ; nous ne refusons pas d’obéir à la Reine ; que monsieur McDougall montre ses papiers ; nous croyons que c’est le gouverneur Mactavish qui représente encore la Reine ; nous nous rebellons contre la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui nous vend et veut nous livrer et contre le Canada, qui veut nous acheter. Nous ne nous rebellons pas contre le gouvernement anglais de Londres qui n’a pas encore approuvé le transfert définitif de notre pays. ; nous reconnaissons le gouvernement d’Assiniboia.
Ensuite, Riel fait un vibrant appel à l’union de toute la population, afin que le peuple de la rivière Rouge jouisse de la liberté.
Dans les assemblées subséquentes, on ne parvint pas non plus à s’entendre afin d’adopter une stratégie commune, malgré l’intervention de Donald Gunn, historien, qui avait proposé de déposer les armes et de laisser entrer sur le territoire le nouveau lieutenant-gouverneur désigné, afin de lui exposer les griefs.
Le 23 novembre, Riel saisit les livres et l’argent du gouvernement de l’Assiniboia ; il décide en outre de le remplacer par l’établissement d’un gouvernement provisoire.
Tout le monde fut stupéfait. Même les partisans des Métis hésitèrent à approuver cette idée. Les anglophones s’y opposèrent carrément. Riel tenta d’unir toute la population, en disant : « un gouvernement provisoire pour notre protection et pour négocier avec le Canada ». Il « sera constitué d’un nombre égal de francophones et d’anglophones ». Les anglophones demandèrent de consulter leurs villages. Eux-mêmes étaient divisés quant à l’attitude à prendre ; la situation semblait les dépasser.
Les Canadiens et le docteur Schultz cherchèrent à empêcher les anglophones d’adhérer au projet de Riel. Ils avaient échoué à convaincre les représentants des villages à envoyer des délégués à la convention du 6 novembre. Ils tentèrent en vain de dissuader Henry McKinney de représenter Winnipeg.
En dépit de ses efforts, la convention du premier décembre eu lieu.
Le transfert de la souveraineté des Territoires du Nord-Ouest devait être effectué par l’Angleterre au Canada le premier décembre 1869 ; mais, la date fut reportée à la demande du premier ministre Macdonald ; il avait appris que le lieutenant-gouverneur McDougall avait été refoulé aux Etats-Unis par les Métis de Riel ; il ordonna à Londres de retenir le prix qu’avait payé Ottawa, soit les 300,000 livres, pour l’achat de la Terre de Rupert, et ne pas le verser à CBH, avant que la colonie de Rivière-Rouge soit apaisée.
Mais le lieutenant-gouverneur ne fut pas mis au courant de ce report. Alors, il franchit la frontière, et il publia deux publications, qui s’avérèrent n’avoir aucun effet juridique : l.- Que le Territoire du Nord-Ouest appartenait au Canada depuis le premier décembre. 2.-Qu’il en était le lieutenant-gouverneur désigné. Il rentra alors aux Etats-Unis et attendit les résultats de la convention devant être tenue le premier décembre.
Ces proclamations avaient été expédiées aux anglophones et aux francophones.
À la convention, un accord fut conclu entre anglophones et francophones sur les points suivants : l’élection par le peuple de Rivière-Rouge de leurs représentants à l’assemblée législative ; des revenus pour la construction des écoles, des routes et ponts et autres travaux publics ; reconnaître l’anglais et le français comme langues officielles ; obtenir la promesse et la garantie de ces demandes d’Ottawa ou du moins de monsieur W. McDougall qui attendait à la frontière.
Mais les anglophones refusèrent d’envoyer des délégués à W. McDougall. Pour lui transmettre ces réquisitions.
Pendant ce temps, ce dernier avait chargé le colonel J.S. Dennis de lever une milice parmi les colons pour maintenir l’ordre. Les colons refusèrent prétextant que c’était au Dominion de faire respecter ses décisions impopulaires.
À cette nouvelle, la troupe de Riel ferma le bureau du journal du NOR ’West et confisqua toutes les armes et munitions de Winnipeg. Puis, étant mis au courant que des apprivoisements de porcs entreposés chez le docteur Schultz seraient susceptibles de nourrir une force armée, il fit entourer le magasin du docteur par ses hommes armés, après avoir fait transporter deux canons sur les lieux.
Semé de se rendre, Schultz et ses hommes (48) capitulent ; ils sont capturés et emprisonnés au Fort Garry. Cette place forte est bien garnie en pemmican, soit une quantité suffisante pour nourrir 400 hommes pendant un hiver.
McDougall attend en vain la délégation des Métis. De guerre lasse, il retourne à Ottawa avec le colonel Dennis, qui avait échoué à lever une armée.
Pour bien comprendre la situation, est-t-il nécessaire de préciser que des rapports constants existaient entre les anglophones et McDougall ; lequel était stoppé à la frontière ; car les émissaires des anglophones déjouaient facilement les gardiens de la barrière.
Le 8 décembre, Bruce démissionne du Comité comme président ; Riel le remplace. Et le gouvernement provisoire de l’Assiniboia est officiellement fondé. Celui-ci offre à Ottawa d’entamer des négociations, pour le bien et la prospérité du peuple. Puis, le drapeau du nouveau gouvernement (blanc et fleur de lys) est hissé à Fort Garry.
Source : Louis Riel, un destin tragique, par Bernard Saint-Aubin, les Éditions la Presse, 1985.
Citadelle 1 : acrylique sur toile, 40,6 x 50,8 cm
Artiste peintre : Pierre-Émile Larose
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