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pelarose

Louis Riel rentre chez lui

Dernière mise à jour : 2 mars 2021

Après un séjour d’une dizaine d’années au collège des Sulpiciens, à Montréal, Louis Riel rentre chez lui à Rivière-Rouge.


Louis Riel a 25 ans. Il revoit ses frères et sœurs, sa grand-mère Marie-Anne Gaboury, elle qui, à 26 ans, a laissé les tâches du presbytère de Louiseville, pour suivre son mari dans l’Ouest (elle était au service de monsieur le curé Vinet depuis ses 15 ans). Il était aussi entouré de cousins, cousines, demi-cousins, demi-cousines, métis ou pas, et des oncles et des grands oncles et grandes tantes, tous curieux de le voir et de l’entendre parler.


Et lui, Louis Riel en savait déjà beaucoup sur l’existence de ses ancêtres, comment ils vivaient au temps où les prairies regorgeaient de milliers de bisons, ces dénommés (bison, bison, bison des champs, pour les distinguer des bisons des bois (bison, bison), et qui maintenant se faisaient de plus en plus rares ; comme les castors, ils avaient été tant chassés et trappés pour la viande, le cuir et la fourrure, qu’il n’était plus possible de compter sur ces richesses pour vivre. Il ne restait que la terre qui produisait de quoi manger, et on avait commencé à l’arpenter et la peser comme pour la leur ôter, eux qui l’avait défrichée, engraissée et bâtie.


Louis en connaissait beaucoup sur la vie quotidienne d’antan, parce que sa grand-mère la lui avait racontée à lui et à ses petits-enfants, car « elle passait des heures à les fasciner avec des histoires de l’ouest ». Et son père, qui venait de mourir pendant qu’il était au loin des siens, à Montréal ; lui aussi avait fait des études, chez les oblats comme novice, une préparation pour le sacerdoce ; mais il était revenu après quelques mois, pour fonder une famille à Rivière Rouge, avec sa mère Julie Lagimodière, fille de Anne-Marie, cette grand-mère qui l’aimait tant ; une famille de onze enfants dont il était l’aîné.


Maintenant, c’était lui le chef de la famille et en outre, le chef des Métis, comme son père l’avait été. À 25 ans, il lui incombait le lourd fardeau de défendre son peuple ; ce n’était pas pour rien qu’on l’avait baptisé David Louis, nom de prophète et de roi.


Son père avait trimé dur pour bâtir son moulin à grain et à carde sur la Seine, près de St-Boniface ; il moulait le grain et cardait la laine des Sœurs Grises. Il paraît qu’il avait creusé un canal de neuf kilomètres pour amener l’eau à son moulin et faire tourner la grande roue.


Il avait, en outre, pris la tête de sa communauté et défendu les intérêts de ses habitants contre le régime de la Compagnie de la Baie d’Hudson, elle qui avait le monopole du commerce des fourrures.


En 1849, lors du procès de Pierre-Guillaume Sayer, Louis Riel, père, « appuya les libre-échangeurs et insista pour que le Conseil d’Assiniboia soit représenté par les Métis » ; il prit la tête de 300 métis, armés ; ils réclamaient leur droit au libre-échange ; ils entourèrent l’audience, présidée par le juge Adam Thom. Le prévenu était accusé de trafic illégal de fourrure, avec trois autres complices; ils avaient enfreint la charte du monopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Sayer fut déclaré coupable, mais les trois autres co-accusés, furent libérés. Toutefois, le juge demanda la clémence. Car, il fut prouvé que la CBH faisait preuve de favoritisme.


Ce qui eut l’heur de satisfaire le commandant. Ainsi, le juge libéra l’inculpé Sayer sans pénalité.


« Cette année-là, il fut l’un des pétitionnaires exigeant le renvoi d’Adam Thom, l’enregistreur de la Terre de Rupert », soit tout le territoire de l’ouest sous le régime de la CBH. Thom fut remplacé par un juge bilingue comme le demandait la pétition.


Discours de Louis Riel.


Ma première pensée va à la mémoire de mon père, Louis Riel, fils de Jean-Baptiste et de Marguerite Boucher, métisse-franco-chipewyan (je salue ici tout ce clan, bien représenté, j’en reconnais quelques-uns…). Vous savez comment il a combattu pour vos droits, comment il a défendu vos intérêts face aux gens de la Baie…Je remercie les assemblées des village de la Vallée-Rouge de m’avoir choisi comme secrétaire du Comité National…de notre nation Métisse, c’est-à-dire incluant tous les habitants de cette région, qu’ils soient canadien-français comme ma mère ou franco-chipewyan comme la mère de mon père, ou indiens pure laine, écossais, irlandais, polonais et même anglais…pourquoi pas. Ce ne sont que les orangistes de Toronto que nous refusons dans nos rangs ; Dieu leur a donné la couleur des flammes de l’enfer.


Un mot de remerciement à ma mère Julie Lagimodière, ici présente et aussi à ma grand-mère Marie-Anne Gaboury, qui m’a appris la langue des Cris. Je parlerai en français, car c’est ma langue maternelle…et plus tard, je parlerai michif, pour que tous comprennent bien ce que nous voulons entreprendre et demander, et un peu d’anglais pour en contenter quelques-uns. Car, vous savez tous, comment il est nécessaire d’être unis pour défendre nos droits et obtenir justice. Seule l’union de tous pourra faire bouger les gens d’Ottawa. Je m’engage à tout faire pour que justice vous soit rendue.


Mon père, Louis, que Dieu ait son âme, n’a pas craint d’armer 300 des vôtres pour obtenir la libération de Sayer ; c’est seulement la force qui a fait plier le juge et le commandant. Vous connaissez parfaitement l’histoire. Et qui a fait imposer le bilinguisme au Conseil…qui sinon vous tous ou vos pères, au moyen d’une pétition.

Ils l’ont bien dégommé ce juge qui l’avait condamné, ce monsieur Sayer, qui ne voulait que nourrir sa famille avec le fruit de ses fourrures. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les fourrures qu’ils veulent nous voler, mais ce sont nos terres que nous avons défrichées, nous et nos ancêtres. Maintenant, que tout le monde a pillé et vidé le pays de tous les bisons, de tous les castors, pour enrichir le reste de la planète, alors qu’il nous reste comme seul moyen de subsistance nos terres, ils veulent nous les enlever et nous chasser, comme ils l’ont fait autrefois en Acadie. Quand ils nous enlèveront nos terres et nos forêts qui nous restent, ce seront nos cœurs et nos familles qu’ils nous arracheront.


Autrefois, vous pouviez vivre de chasse et de pêche. Aujourd’hui, le bison a presque disparu des Prairies et les castors des bois. Et bientôt, les rivières et lacs se videront de leurs poissons. Auparavant, il y avait des milliers de bisons et de castors. C’était la manne descendue du ciel. Faut-il vous rappeler qu’une peau de bison, une fois tannée, servait à beaucoup d’usages, mais de nos jours, il faut tout acheter, même le moindre brin de cuir ; tout ce cuir et cette fourrure se promènent sur les boulevards de Paris, de Londres ou de Montréal. Portés par des gens gros comme des voleurs. Ils sont tellement gros qu’il leur faut beaucoup de cuir, pour s’envelopper et s’en bourrer plein les poches. Car, quand il passe d’une main à l’autre, vous pouvez être sûr qu’il y a beaucoup d’argent sonnant qui tombe dans les goussets de tous et chacun.


Alors, mes chers amis, il faut prendre les choses en mains, ne pas se fier à nos gouvernants. Il faut fabriquer dès maintenant tout ce que nous pouvons faire nous-mêmes. Exemple : pourquoi ne pas confectionner nous-mêmes nos vêtements comme nos ancêtres le faisaient, ne plus rien acquérir de tout prêt-à-porter. Nous sommes bien capables de tricoter nos mitaines, nos tuques, nos capots en laine comme nos ancêtres le faisaient. Et de confectionner nos mocassins et parkas avec le cuir qui nous reste ; nous avons bien encore quelques bisons ou castors, sinon ce sera les peaux de vaches ; nous pourrons toujours en avoir sur nos terres. Il n’y a aucune raison qu’on échange nos produits contre des denrées faits à l’étranger, avec des matières premières, qu’on laisse aller à vil prix, parce que, disent-ils, ce sont eux autres qui ont l’expertise de les transformer. Mon œil, ma grand-mère savait aussi bien tanner une peau de bison, en faire un sac à pemmican (cette viande de bison entrelardée de baies et de graisse), qu’une selle de cheval, en peuplier, cuir et crin de cheval. Ma grand-mère Marie-Anne, à qui je rends hommage, et qui conduisait sa monture comme une amazone. Vous ne savez peut-être pas l’histoire, eh bien, je vais vous la raconter. Elle participait à une chasse au bison avec mon grand-père Jean-Baptiste, qui était aussi habile à tuer le bison que Buffalo Bill ; ils entendirent le bruit sourd de milliers d’animaux qui se dirigeaient vers eux ; un tourbillon de poussière s’élevait au-dessus du troupeau, au-delà de la rivière ; au bruit de tous les sabots, le cheval, Argent, que ma grand-mère montait s’emballa ; il prit l’épouvante, et se mit à galoper comme un fou ; elle avait beau tenir d’une main les brides et de l’autre essayer que le berceau de Reine, son bébé, ne se fasse pas fracasser, elle ne parvenait pas à freiner le cheval. Ce n’est que Jean-Baptiste qui en fut capable, en s’interposant devant eux et en maîtrisant l’animal en panique. C’est alors que ma grand-mère glissa de sa monture, s’étendit dans l’herbe et donna naissance à son deuxième enfant, un garçon nommé Jean-Baptiste, junior, mais toujours prénommé La Prairie, un surnom bien approprié n’est-ce pas ? Êtes-vous présent, La Prairie, mon oncle…non…il doit être en train d’aiguiser sa hache.


Pour revenir à nos oignons, mon père avait bâti un moulin à moudre et à carder la laine ; cela n’a pas marché, pourquoi ? La seule raison que je vois…il était trop avant-gardiste ; il n’y a aucune raison qu’un moulin ne puisse pas faire vivre son homme ; nous avons le riz, et nos champs de blé et d’avoine auront besoin de meuniers. Nos moutons, nous pouvons les tondre nous-mêmes ; il ne faut pas attendre que les autres nous mangent la laine sur le dos. Non !


Lascaux 32, monotype : encre sur papier, 20 X 28 cm

Artiste peintre : Pierre-Émile Larose


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