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Lord Selkirk et le gouverneur Miles Macdonell

Avant de continuer l’histoire de Louis Riel, il me semble opportun d’aborder ce qui se passait dans la vallée de la rivière Rouge (aujourd’hui région des villes de Winnipeg, St-Boniface, la Fourche de la province du Manitoba, Canada), et dans les vallées des rivières Saskatchewan nord et sud, aujourd’hui la province canadienne éponyme, et cela au début du dix-neuvième siècle.


Existaient sur ce territoire différentes tributs d’indiens (Cris, Saulteaux, Objiwés,etc), des anglais, des canadiens-français et des métis, nommés sang-mêlé ou « half-breed » ; ces derniers étaient soit des négociants, hommes libres (coureurs des bois, voyageurs), ou des engagés par les deux compagnies qui avaient le droit d’exercer leurs activités sur le territoire : la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) et la Compagnie du Nord-Ouest,(CNO) dont le siège social était à Montréal, tandis que celui de la première demeurait à Londres. Elles exerçaient toutes les deux le commerce de la fourrure, base de l’économie du Canada à cette époque. Leur rivalité était sans équivoque.


Ils avaient construits leurs propres forts avec palissades, à des endroits stratégiques, sur les rivières Pimbina, Rouge, Saskatchewan nord, sur la Baie d’Hudson etc. (Fort Henry, Fort La Reine, Fort Gibraltar, Fort Daer, Fort Garry, Fort Douglas, Fort William sur le lac Supérieur, Fort Qu’Appelle, Fort Cumberland, Fort Saskatchewan, Fort Edmonton, Norway House, York Factory sur la Baie d’Hudson). Un fort d’une compagnie faisait souvent face à celui de sa rivale, bâti sur l’autre rive. C’était des postes de traite, des entrepôts de nourriture, des bâtiments confortables pour les négociants et leurs engagés. (Ce n’est qu’une nomenclature, une idée générale, et non leur histoire ; les uns sont sans doute tombés en ruine et oubliés, tandis que d’autres des lieux historiques, je l’ignore).


Bref, il s’était établi une vie économique florissante, basée sur les richesses de la faune, principalement sur la chasse aux bisons et la trappe aux castors. En plus de ces animaux visés pour leur fourrure, leur cuir et leur viande, ces vallées regorgeaient de wapitis, cerfs, couguars, loups, loutres, pékans, raz-musqués, visons etc., ainsi que d’oiseaux et de poissons comme esturgeons et corégones. Et les terres fertiles produisaient des baies comestibles, du riz et d’autres denrées sauvages, ou susceptibles d’en être récoltées suite à leur ensemencement.


Mais quand les européens débarquèrent dans ces contrées sauvages, où les tributs indiennes vivaient entre elles dans une paix relative, le choc de la rencontre de deux civilisations produisit cette catastrophe connue : apport sur le territoire de microbes qui contaminèrent les indigènes ; apport du cheval mexicain et du fusil : outils efficaces pour tuer les bisons et autres cervidés ; et des trappes d’acier sophistiquées irrésistibles, pour toutes ces peaux recherchées, (une mine d’or) pour réchauffer d’autres peaux ; l’anéantissement des Premières Nations.


Jean-Baptiste Lagimodière, le grand-père maternel de Louis Riel, avait 34 ans, en 1812. Il est un coureur des bois chevronné ; il avait été engagé par la Compagnie du nord-ouest à 21 ans ; il s’est marié, à Louiseville, avec Marie-Anne Gaboury ; lui il est né à St-Jean-sur-le-Richelieu, mais, a été élevé avec son frère dans le comté de Maskinongé chez une tante, étant tous deux orphelins. Elle vient de lui donner son quatrième enfant, Benjamin, ses premiers étant Reine, Laprairie, et Lecyprès ; il y aura plus tard Pauline, Julie et autres. Il est « un des meilleurs chasseurs et trappeurs parmi les canadiens-français ». Il est trop grand pour un rameur d’un canot ; il mesure plus que 1,65 mètre, ne travaille pas comme « voyageur », celui qui revient de l’Ouest chaque année avec ses ballots de fourrure. Il est employé comme « ouvrier agricole » : il négocie les peaux avec les indiens ; il trie et emballe les peaux de castor ; il échange les marchandises ; il coupe et fend le bois de foyer ; il répare les bâtiments du Fort ; il fabrique des meubles grossiers ; il pêche, et chasse le bison ; il apprend l’art de la trappe, spécialement celle du castor. Nous décrirons plus loin le rôle de Marie-Anne, elle qui a troqué son tablier de « ménagère » du curé Vinet de sa paroisse, pour les bottes et la culotte d’une aventurière pour suivre son mari à la chasse aux bisons auprès des indiens.


La même année 1812, Jean-Baptiste rencontre lord Selkirk, 41 ans, aristocrate écossais « imposant et plein d’assurance, grand avec des traits fins, les cheveux roux ondulés » « énergique, optimiste et enthousiaste » ; il était comte de Selkirk et baron de Daer, philanthrope, ayant voyagé en France, ayant étudié la Révolution française, ayant une conversation plaisante, « on l’aimait dès le premier contact » ; il a des idées grandioses, souvent au détriment d’autrui. Il n’a jamais travaillé de ses mains. Il a hérité d’une fortune colossale ; il a marié une riche héritière. Après avoir lu les livres d’Alexander Mackenzie (le premier explorateur qui a parcouru le Canada en entier, jusqu’au Pacifique), il eut l’idée d’établir une colonie d’immigrants dans l’Ouest canadien, à Rivière Rouge. L’aventurier avait décrit cette région comme un paradis.


Des agriculteurs écossais et irlandais écopaient d’une crise économique sévère. Lord Selkirk décide de leur venir en aide et de les sortir de leur misère. La promesse d’une vie meilleure sur des terres gratuites. Un climat canadien à peu près semblable à ce qu’ils connaissent dans leur pays.


Mais ces terres appartiennent à la Compagnie de la Baie d’Hudson ; et celle-ci commerce la fourrure ; des colons ne sont pas les bienvenus sur son territoire. Lord Selkirk se voit refuser l’établissement.


Alors, en 1802, il se porta acquéreur d’une étendue de terrain dans l’Île-du-Prince-Edouard. Pour établir 800 « Highlanders ». Il leur avait promis tout le matériel nécessaire à leur installation ainsi que des semences. Mais le bienfaiteur ne tint pas ses engagements. Les colons furent dépités. Mais bon gré mal gré, ils finirent par se débrouiller seuls, parvinrent à vivre de leur terre et dans leur nouveau pays.


Ensuite lord Selkirk se tourna vers l’Ontario, aux abords du lac Sainte-Croix. Il y fit installer cent colons pour l’élevage des moutons. Mais la région marécageuse était propice à la malaria. Dix-huit colons moururent. Mais à la fin, la moitié des nouveaux arrivants décédèrent de cette maladie, de malnutrition et de la mauvaise gestion du colonisateur. La guerre des américains de 1812 ravagea les fermes subsistantes.


Décor d’une cérémonie :


Union Jack et le pavillon de la marine, hissés au mât

Le ton plaintif d’une flûte d’un hymne solennel.

Le God Save the King.

Tout le personnel dans des habits bigarrés

Métis, Indiens, hommes libres, négociants anglais et français, femmes et enfants.

La nichée des Lagimodière

Fins tissus de dentelles

L’épée à la ceinture

Un chapeau à plumes

Le gouverneur le plus magnifiquement vêtu.


Septembre 1812. Ce fut la cérémonie officielle du transfert de la gouvernance de CBH. Lord Selkirk se vit attribuer des terres à Rivière-Rouge, afin d’y implanter une colonie agricole : « Un employé lut la déclaration de transfert officiel du territoire alors connu sous le nom d’Assiniboia, soit trois cent mille kilomètres carrés, par « le gouverneur et la compagnie des aventuriers d’Angleterre faisant le commerce dans la Baie d’Hudson » au très honorable comte de Selkirk ».


Car, le comte, dont la première demande d’établir une colonie, à Rivière Rouge, avait essuyé un refus de la Compagnie de la Baie d’Hudson, avait réuni une somme importante ; elle avait suffi pour acquérir la majorité des actions de la compagnie, et en avoir le contrôle.


Il avait nommé Miles Macdonell comme gouverneur de la colonie ; écossais, monarchiste, ancien militaire, il avait mis en bon était une ferme qu’il avait acquise dans la région de Stormont, en Ontario, détériorée par la négligence des locataires ; il en avait fait une entreprise modèle ; le comte l’avait visitée, en avait été impressionné ; il avait appointé Macdonell, gouverneur. « Il lui donna tous les pouvoirs : le contrôle d’un territoire cinq fois plus étendu que l’Écosse avec une autorité absolue sur ses habitants depuis les autochtones jusqu’aux commandants des différents postes de la CBH. « Le fait que l’homme fut aussi arrogant, entêté jusqu’à l’obstination, élitiste et plein de préjugés contre tous ceux qui n’étaient pas Blancs de pure souche, n’inquiéta nullement le comte ».


À cette occasion, Miles Macdonell embaucha Jean-Baptiste Lagimodière, coureur des bois et homme libre, avec deux autres chasseurs, à raison de trente livres par an, afin d’appuyer l’arrivage des nouveaux colons.


(Trois contingents de colons écossais et irlandais viendront s’établir dans la colonie idéale du lord Selkirk. Dans le prochain blogue, nous verrons les difficultés de leurs traversées de l’Atlantique et celles quand ils arriveront en terre canadienne).


Source : Marie-Anne, La vie extraordinaire de la grand-mère de Louis Riel, par Maggie Siggins. Les éditions du Septentrion, 2011. Traduit de l’anglais par Florence Buathier.


Soleil levant, acrylique

Artiste peintre : Pierre-Émile Larose

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