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Les maladies mentales d’Émile Nelligan et de Louis Riel

À l’occasion de la semaine de la maladie mentale, je vous parlerai de Louis Riel et d’Émile Nelligan, qui en ont été affectés durant leur vie.


Ma compassion à l’égard de ces grandes figures en est d’autant plus grande que moi aussi j’ai déjà été affecté par ce trouble du cerveau. Un extrait de mon livre L’homme écarlate, reproduit à la fin, illustre une partie de mon expérience.


Nous décrirons, premièrement, les circonstances qui ont conduit le politicien et le poète à la maladie mentale ; deuxièmement, nous soulignerons les points communs entre les deux personnalités ; troisièmement, nous dégagerons les causes inhérentes, qui provoquent ce désordre cérébral.


Louis Riel. Une fois amnistié et exilé de son pays, le curé Fabien Barnabé, un ancien ami de Louis, qui l’avait déjà hébergé, l’accueillit dans son presbytère de Keeseville, état de New-York. Il était devenu un apatride pour une période de cinq années.


En décembre 1874, un esprit lui aurait dit : « Lève-toi, Louis-David Riel. Tu as une mission à accomplir ».


Le 14 juillet 1875, Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal, lui écrit une lettre. « Mais Dieu qui vous a toujours dirigé et assisté jusqu’à présent ne vous abandonnera pas au plus fort de vos peines. Car il vous a donné une mission qu’il vous faudra accomplir en tous points. »


Il gardera cette lettre précieusement ; elle lui apporte la confirmation concrète du message divin. Cela commença à affecter ses facultés. Son système nerveux subissait depuis plusieurs années un stress épuisant. Ce fut d’abord le choc de la mort de son père alors qu’il fréquentait le collège, à Montréal, puis l’abandon de ses études, et le rejet des parents de sa fiancée, qui refusaient qu’un métis marie leur fille. Ensuite, ce fut la prise en charge de la défense des droits de ses compatriotes de la Rivière-Rouge, lorsqu’ils le nommèrent le chef des Métis, et la guerre qui s’ensuivit contre la CBH et Macdonald, la prise du Fort Garry ; la mort de Thomas Scott ; l’hostilité des orangistes ontariens, sa tête mise à prix ; la peur d’être arrêté et assassiné. Cette charge émotive était trop lourde à porter pour un seul homme ; Dieu venait à sa rescousse ; il avait été toujours très pieux ; Mgr Taché l’avait distingué, jeune homme, à être prêtre ; il l’avait fait instruire chez les sulpiciens.


Le système nerveux ébranlé de Louis Riel lui fit faire des gestes, écrire et prononcer des paroles, et lui fit pousser des cris, le tout hors du contrôle de sa raison.


Il demanda à Mgr Bourget de dire au pape pour lui : « Saint Père, bénissez la nation métisse. C’est la plus jeune de toutes les nations du monde. Elle est toute petite. Elle aime la Sainte-Vierge. Bénissez-la comme nation catholique. Et au milieu de votre famille composite de tous les autres peuples, la nation métisse sera votre joie. »


Aux États-Unis, il rencontra le président Ulysse Grant, Edmond Mallet, un ami et sympathisant des métis, des personnalités influentes. « Ce n’était plus le même homme ; avec les étrangers, il donnait des signes de nervosité et semblait mal à l’aise. »

Au presbytère du curé Barnabé, il hurlait la nuit. Son ami voulait l’aider ; mais il ne pouvait plus le garder. Il communiqua avec l’oncle de Riel, John Lee, demeurant à Montréal, lui demanda qu’il vienne le chercher.


Dans le train le ramenant au Canada, il dérangeait les voyageurs en criant ou s’esclaffant de rire, clamant : « Je suis un prophète ». Pendant son séjour chez son oncle, on lui permit un dimanche d’assister à la messe, étant donné qu’il s’était assagi ; mais, durant le sermon, en désaccord avec les paroles du prédicateur, il se leva de son banc et alla l’argumenter. Des gaillards le firent sortir de l’église. Ses parents commençaient à trouver la tâche lourde et menaçante. Il le fit entrer à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, sous le nom de Louis R. David ; car il n’avait pas le droit de séjourner au Canada.

À l’hôpital, ses crises continuèrent. Les religieuses, administratrices de l’institution, craignaient sans cesse que des orangistes, venant de l’Ontario, viennent le violenter. Elles firent transférer l’homme d’état, déstabilisé, à l’asile de Beauport, près de Québec. Il eut son congé de l’hôpital, le 23 janvier 1878 ; il retourna à Keeseville, au presbytère de son ami, l’abbé Barnabé ; celui-ci l’accueillit volontiers, à nouveau. « Il était plus ou moins guéri ».


Il noua des relations amoureuses avec la sœur du curé, Éveline ; ils se fiancèrent, mais ne le révélèrent pas. Riel chercha un emploi dans l’état de New-York, à Saint-Paul, à Pembina ; il correspondait entre-temps avec sa fiancée. Aucun poste ne lui convenait. Puis, un jour, il stoppa la correspondance et rompit avec Éveline. À la fin de 1879, il se fit trafiquant et interprète en compagnie de métis et d’indiens.


En 1881, il épousa une jeune métis, Marguerite Monet dit Belhumeur ; celle-ci lui donna un fils, Jean, puis l’année suivante, une fille, Marie-Angélique.


Louis Riel appuya les républicains, aux élections législatives de 1882 ; le parti l’accueillit dans leur rang.


En mars 1883, il sollicita, auprès d’un juge du Montana, la citoyenneté américaine. Il prêta serment à la constitution des États-Unis ; il obtenait ainsi la double citoyenneté.


Ensuite, après dix ans d’absence, il retourna dans son pays, à la Rivière Rouge, visita sa mère, sa grand-mère, et revint aux États-Unis ; il obtint alors un poste d’instituteur à la mission de Saint-Pierre, dirigée par les jésuites.


En 1884, à l’invitation de Gabriel Dumont, métis, et de compagnons, qui avaient besoin de lui à Batoche, il revint avec eux dans les territoires du Nord-Ouest. Il devint à nouveau le chef des Métis et des Indiens, afin de les appuyer dans leurs revendications de leurs droits.

Il poussa son peuple et les Indiens à faire la guerre contre le Canada ; Riel avait perdu le sens des réalités. Très populaire auprès des métis et des autochtones, il les encouragea à se rebeller contre les autorités, qui refusaient leurs demandes. Mgr Grandin estimait que son comportement exalté le conduirait à la folie. Tout le clergé désapprouvait sa conduite utopiste.


Avant l’affrontement, en marche vers l’ennemi, à chaque halte, il faisait réciter le chapelet.


Je raconterai la suite dans mes prochains blogues.


Quant à Émile Nelligan il naquit en 1879, i fut interné vers l’âge de 20 ans et décéda à 61 ans ; tandis que Louis Riel, né en 1844, fut pendu en 1885, pour haute trahison.


Nelligan avait un père irlandais et une mère québécoise, qui venait de Rimouski. Il n’était pas aimé de son père. Son père lui déchirait ses poèmes, coupait le gaz au « griffonneur malade ». Il se passionna dès son jeune âge pour la poésie. Il fit les deux premières années de son cours classique : éléments latins et syntaxe, à Montréal. Il échoua ses examens. Ensuite, il abandonna complètement ses études pour se consacrer exclusivement à faire des poèmes. Il s’intéressa à la musique.


Ses poèmes rompent avec le thème patriotique ; ils explorent les zones intérieures ; il fait figure de poète maudit et celle de l’éternel adolescent romantique et triste. Il est désigné comme le père de la poésie moderne québécoise. Un émule de Verlaine et de Baudelaire.


Il fréquente un groupe de poète de Montréal ; en février 1897, il est accepté à l’École littéraire de la métropole. Il publie dans le journal le Samedi ses poèmes sous le pseudonyme d’Émile Kovar : « Rêve fantasque » le 13 juin 1896, et 8 autres poèmes dans les mois suivants.


Le 27 février, à une séance de lecture, devant des poètes, il lit les poèmes suivants : Tristia, Sonnet d’une villageoise, Carl Vohnder est mourant. Ses vers sont marqués « d’une persistance mélancolie et d’une précoce maturité ». Joseph Melançon, poète, note : « Il lit debout, lentement avec âme. La tristesse de ses poèmes assombrit son regard. Il y a de la beauté dans son attitude, c’est sûr. Mais ses vers ? – De la musique, de la musique et rien d’autre… »


Il lie une amitié avec le peintre Charles Gill ; Louis Dantin est son mentor ; celui-ci publiera, en 1904, un recueil de ses poèmes : Émile Nelligan et son œuvre.


Le 26 mai 1899, Nelligan lit ses derniers poèmes, ce sera son chant du cygne. « Lorsque que le poète, l’œil enflammé, la voix sonore, clama ces vers vibrants de sa Romance du vin, ce fut le délire dans la salle. Des acclamations portèrent aux nues ces purs sanglots d’un grand et vrai poète. » Jean Charbonneau.


Au printemps 1899, sa maladie s’aggrava : des idées suicidaires, des cris, des altercations avec son père, accès de fièvre et de délire, fatigue général, apathie, s’enferme seul des journées entières. Il est diagnostiqué schizophrène.


Le 8 août, à la demande de son père, il est interné à la Retraite Saint-Benoit-Labre, tenue par les frères de la Charité ; en 1925, il est transféré à l’asile de Saint-Jean-de-Dieu ; il y décéda le 18 novembre 1941.


Nelligan et Riel étaient tous deux des natures hyper sensibles, émotives et imaginatives. Les relations de Nelligan avec son père étaient mauvaises ; tandis que Riel admirait son père ; son décès prématuré l’ébranla ; son père, chef des Métis, comme lui-même par la suite, avait défendu les droits de son peuple, l’arme à la main. Louis lui succéda à 25 ans à cette chefferie ; son don d’éloquence et son charisme et influence à l’égard de ses congénères causeront sa perte. À l’exemple de Nelligan, dont la récitation devant public de ses propres sonnets, produisait des applaudissements à tout rompre. Son exaltation émotive lui fera perdre la raison.


Tous les deux séjournèrent à l’hôpital psychiatrique de Montréal. À cette époque, les thérapies pour ces maladies étaient moyenâgeuses ; aujourd’hui, les deux hommes auraient été soignés à l’aide de médicaments ; ils auraient guéris.


Il existe encore beaucoup de préjugés, dans la société, à l’égard de la maladie mentale. Souhaitons que ceux qui en sont victimes puissent avoir l’aide adéquate. Il ne faut pas stigmatiser celles-ci. Nous constatons que les exemples de Riel et de Nelligan furent, en dépit de leurs troubles mentaux, de grandes personnalités, qui ont contribué tous deux à l’amélioration de la société.


Sources : Louis Riel, Un destin tragique, par Bernard Saint-Aubin, les Éditions la Presse, 1985 ; le web google Émile Nelligan : Wikipédia.



Extrait de l’Homme écarlate :


Conversation et dictée


— Nestor, j’ai fait une découverte ; j’ai découvert que je suis le bon Dieu. Vous me croyez, hein ? Il faut que je vous le dise, je ne puis garder ça pour moi, c’est trop dur à supporter.


Il faut que vous me croyiez tous. Le Paradis, c’est sur la terre. La terre, c’est le péché. Maman, j’ai voulu la tuer… c’est seulement de la terre, c’est l’orgueil. Elle ne voulait pas m’adorer, elle devait mourir. Elle se sauvait, elle ne voulait

pas… elle se pensait mieux que moi. Ils étaient tous là ; monsieur Chartrand était laid comme un péché. Je lui ai donné un coup de poing. Maman ne pouvait pas me voir. Ses yeux, c’était de la terre. Je la voyais comme un paquet de terre qui se faisait aller les bras [sic]. Elle me commandait à moi. J’ai voulu la tuer. Je suis tombé à genoux, dans la terre. J’ai tout pardonné. Moi, j’étais le bon Dieu. Je pouvais pardonner.


Elle, elle ne pouvait pas pardonner ; c’était de la terre, le péché. Je criais, je criais, je n’en pouvais plus. J’ai pardonné. Ils ont dû croire que j’étais fou. Je me suis sauvé. Ils auraient appelé la police. Je me serais fait arrêter. Je suis allé chez monsieur Després. Lui, il était capable d’arrêter la police. Il a des connexions. Il a détourné toute la police. J’ai fait un songe. Je voyais Jenny. C’était le paradis terrestre. Maman ne pouvait pas la voir. Elle avait les yeux pleins de terre. J’ai voulu aller la chercher.

C’était le matin.


— Quand avez-vous découvert que vous étiez le bon Dieu ?

— Quand je suis tombé à genoux dans le jardin, j’ai tout pardonné. Cela a commencé tranquillement tout au long du carême. C’est bien simple, un phénomène naturel ; je suis mort le Vendredi saint ; enfin pas moi, mon corps ; je suis mort à mon corps. J’ai ressuscité à Pâques. Tout était clair. J’ai tout compris. Maman va mourir, c’est le péché, c’est seulement de la terre. Si vous me croyez, vous allez vivre… deux cents, trois cents, quatre cents ans, je ne le sais pas… tout le temps. Vous serez dans ma pensée. Vous aurez la vie.


— Et si on ne croit pas ?

— Je m’en fiche. Vous allez mourir. Mais vous me croyez ? Hein ? Il faut me croire. Autrement, ce n’est pas vivable. Il faut m’aimer, me croire, seulement cela. Ce n’est pas compliqué, il suffit de croire. Mais il ne faut pas le dire.


— Pourquoi ?

— Ils vont me tuer, ils ne me croiront pas. Il faut le dire tranquillement, comme dans l’Évangile. Vous êtes comme mes apôtres. S’ils me tuent, c’est comme l’autre Christ, ça va être seulement le péché sur terre. Il faut me croire, pas seulement le dire, mais me croire réellement. C’est dur à avaler. C’est bien dur. Moi, je le dis parce que je ne peux supporter cela tout seul. Moi, je l’ai avalé, c’est bien dur. Je ne sais pourquoi ça m’est arrivé à moi cette découverte. J’aimerais mieux que ce soit arrivé à un autre.



Après Goya

Huile sur toile, dyptique: chacun 122 X 91 cm

Artiste peintre : Pierre-Émile Larose


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