Louis Riel était torturé. D’un côté, il était le défenseur des intérêts des métis, qui l’avait élu pour les sauver de la spoliation de leurs terres ; de l’autre côté, il était aux prises avec l’armée de Macdonald, sourd à toutes leurs revendications justifiées.
Quant à ce dernier, premier ministre, il n’avait en tête que l’obligation de sauver le Canada de l’ambition américaine. Voici pourquoi :
Les Etats-Unis menacent d’annexer les territoires du Nord-Ouest canadien, avant et après l’établissement de la frontière, au 49ième parallèle, en 1846 : accord entre Washington et Londres. Ce danger existe toujours après la Confédération (19 mars 1867- Acte de l’Amérique du Nord britannique).
Le lendemain, le 30 mars 1867, les U.S.A. achètent l’Alaska de la Russie pour la somme de 7,200,000$.
Le sénateur Charles Summer déclare : « L’Amérique du nord britannique suivra l’Alaska ».
Des représentants de la Chambre affirment « qu’avec l’Alaska au nord et les États-Unis au sud, la Colombie-Britannique (et avec elle le Canada) serait serrée dans un étau et contrainte de s’unir à l’Amérique ».
La doctrine du « Manifest Destiny » prône que la mission des Etats-Unis est de dominer toute l’Amérique du Nord.
Au début du 19ième siècle, la moitié de la Colombie-Britannique appartient à l’État américain l’Oregon. Cet État et ceux de Washington et d’Idaho, ainsi que des fractions du Montana et du Wyoming étaient administrés en commun par Washington et Londres.
C’est pourquoi, ceux-ci fixèrent la frontière au 49iè parallèle pour éviter la guerre.
Mais les visées annexionnistes ne s’éteignirent pas pour autant comme il est dit plus haut.
En janvier 1870, John A. Macdonald, premier ministre du Canada, écrit : « Les Etats-Unis sont résolus à faire tout ce qu’ils peuvent, sauf la guerre, pour acquérir le territoire de L’Ouest ».
Georges Stanley, historien, écrit dans « The Canadians » : « des liens d’acier et de sentiment étaient nécessaires pour maintenir la Nouvelle confédération. Sans le chemin de fer, le Canada n’aurait pas existé ; il n’y aurait pu y en avoir ».
Pour contrer cette pression américaine, le premier ministre doit rapidement construire un chemin de fer intercontinental, reliant l’Est du Canada à l’Ouest, de Montréal à Vancouver. Il a besoin de capitaux et de main d’œuvre. D’ailleurs « La construction du chemin de fer international est une condition de la Loi constitutionnelle de 1867 ».
Il trouvera ses capitaux. Cela lui coûtera un scandale et le purgatoire d’une perte d’une élection. Ce sera le scandale du Pacifique. Hugh Allan, milliardaire, donna 350,000$ au parti conservateur de Macdonald, aux élections de 1872, en échange de l’octroi du contrat du chemin de fer du C.P.R. Il privait ainsi l’autre consortium qui avait appliqué à l’appel des soumissions.
Quant aux travailleurs, ils afflueront de toute part ; des immigrants en masse ; et tout l’Ontario protestante est derrière Macdonald ; beaucoup veulent aller travailler dans l’Ouest. Les Orangistes, cette fraternité pro protestante, antipapiste, ont toujours été de fieffés opposés aux métis et aux canadiens-français. En 1885, le chemin de fer sera parachevé et la menace américaine levée.
Toute cette main d’œuvre avait besoin de terres pour vivre ; celles des métis allaient être avalées.
Ainsi la petite communauté des métis, qui vivaient à Rivière Rouge ne fit pas le poids devant la marche du progrès et des intérêts économiques collectifs. Et les chiens du Québec pouvaient aboyer tant qu’ils pouvaient, cela ne semblait pas déranger John A. Macdonald.
Et Louis Riel, qui se mit à aboyer plus fort, n’était entouré que d’une poignée d’habitants, ignares, qui ne savaient ni lire ni écrire, d’après le premier ministre. La colonie comptait 12,000 habitants, 6,000 métis franco-indiens, 4,000 métis, composés d’écossais-indiens, anglo-indiens, et 2,000 autres nationalités : irlandais, allemands, anglais et canadiens-français.
Que fera Louis Riel devant cette déferlante. Il prit à cœur les intérêts de ses compatriotes ; il sacrifia sa vie. Qui était-il en 1869-1870, lors des premiers troubles à Rivière-Rouge ?
Louis Riel naît en 1844 dans la colonie de Rivière-Rouge, près de St-Boniface ; il est l’aîné d’une famille de onze enfants. Mgr Tâché, évêque, le distingue parmi les élèves des Frères des écoles chrétiennes, qui avaient une école dans l’Ouest. Il a 14 ans. Auparavant, les sœurs grises, établies dans la colonie, avaient été ses enseignantes. Cette distinction vaut au garçon d’être choisi pour être prêtre, un bon candidat parmi deux autres élus. L’évêque les fait entrer au collège des Sulpiciens de Montréal. Cet enfant est pieux, studieux et intelligent ; il aime la poésie. Le voyage se fait en charrette jusqu’à St-Paul, au Minnesota, et en train, en passant par Chicago, jusqu’à Montréal. L’autre chemin pour se rendre de Montréal au Manitoba, à cette époque, est la route des canots et des portages, par les rivières et lacs. Le point de départ est aux rapides Lachine, et l’itinéraire est le suivant : le fleuve St-Laurent, le lac des Deux-Montagnes, la rivière Outaouais, la rivière Mattawa, le lac Nipissing, la rivière des Français, le lac Huron, le Sault Ste-Marie, le lac Supérieur, la rivière Kaministikwia, la rivière Pigeon, la rivière Winnipeg, le lac Winnipeg et Rivière-Rouge.
Son père, Louis Riel, est un homme d’affaires de la colonie, et aussi un chef politique de la communauté métisse. Plusieurs pétitions et revendications ont déjà été envoyées aux bureaucrates fédéraux. Pour réclamer des droits et avoir justice. Le gouvernement central les ont toujours ignorées.
Louis Riel fait son entrée au collège des Sulpiciens. Cours classique qui le conduira à des études universitaires et à la prêtrise. Il est noté très bon élève par ses professeurs. Il fait des vers. En 1864, il apprend le décès de son père ; ça va le perturber ; il ne peut plus supporter d’être pensionnaire. Élève externe pendant une certaine période ; pension chez les Sœurs grises et leçons au collège. Mais, il découche, et les règlements des Sœurs l’interdisent ; elles refusent de le garder plus longtemps. Alors, il quitte le collège, et se trouve un emploi dans un bureau d’avocat, à titre de clerc. Il s’éprend d’une jeune fille, Julie Guernon. Tous deux se fiancent en catimini. Mais, les parents de la jeune-fille refusent qu’elle se marie à un sang-mêlé. Ensuite, il se rend à Chicago, où il rencontre le poète Louis-Honoré Fréchette ; il habite quelques temps chez lui. Il poursuit sa route vers sa terre natale, s’arrête à St-Paul, Minnesota ; il travaille encore comme clerc dans un bureau d’avocat.
En 1868, Louis Riel « a vent des troubles métis qui secouent la colonie de la Rivière Rouge ». Il rentre alors chez sa mère. La colonie est envahie de colons protestants et anglais, qui se cherchent des terres pour s’installer. Les tensions entre les nouveaux arrivants, les indiens et les métis s’accentuent.
En 1869, la Compagnie de la Baie d’Hudson convient de vendre la Terre de Rupert et les territoires du Nord-Ouest au Dominion du Canada.
Au mois d’août de la même année, William McDougall, lieutenant-gouverneur, envoie des arpenteurs à Rivière-Rouge.
Par crainte de l’arrivée massive d’Anglos-protestants en provenance de l’Ontario, et dans le but de protéger leur statut-social, culturel et politique, les métis de la Rivière-Rouge et du Nord-Ouest mettent sur pied « Un comité national des métis ». Ils nomment Louis Riel, leur secrétaire ; puis il en deviendra le président. (à suivre à la semaine prochaine).
Sources : Louis Riel et Gabriel Dumont, Joseph Boyden, Boréal, 2011.
Louis Riel, un destin tragique, Bernard Saint-Aubin, la Presse, 1985.
L’Encyclopédie du Canada.
Lascaux 35, monotype : encre sur papier, 20 X 28 cm
Artiste peintre : Pierre-Émile Larose
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