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Le Manitoba, une seconde province française

Dernière mise à jour : 28 avr. 2021

Au début de 1870, Mgr Taché est rappelé de Rome par Macdonald, pour aller dans le Nord-Ouest, pacifier les rebelles de la Rivière-Rouge. Le premier ministre l’assure qu’il accordera l’amnistie générale aux insurgés, si la paix revient. Il promet en outre que le gouvernement payera tous les dommages causés à La Compagnie de la Baie d’Hudson.


L’évêque arrive à la Rivière-Rouge, le 8 mars 1870, se rend directement à l’évêché de Saint-Boniface, à Winnipeg. Le chef métis se méfie de lui ; il poste des gardes devant le palais épiscopal ; ceux-ci ne laissent entrer que les membres du clergé.


Le 9 mars, a lieu au Fort Garry une assemblée du conseil du gouvernement provisoire ; de ses 24 membres, étaient présents 9 francophones et 10 anglophones. Riel annonce l’arrivée de Mgr Taché ; il exprime l’espoir qu’il est investi de pleins pouvoirs, pour satisfaire complètement la population. La réunion est ajournée au 15 mars.


Le 11 mars, se tient un entretien, au Fort Garry, entre Mgr Taché, Louis Riel, Ambroise Lépine et O’Donoghue. Il est primordial que la promesse d’amnistie englobe tous les actes des insurgés, qui ont été posés jusqu’à l’arrivée de l’évêque dans la colonie. La garantie en est donnée aux interlocuteurs par ce dernier. Ceux-ci répètent que leur seul but est d’entrer dans la Confédération, au moyen d’une entente consensuelle et pacifique.


Quelques jours plus tard. Le New Nation, journal qui prône l’annexion du Nord-Ouest aux États-Unis, est exproprié par le gouvernement provisoire de Riel ; une preuve que le chef métis est toujours fidèle à la Couronne britannique.


Le 15 mars, réunion du conseil du gouvernement provisoire. Mgr Taché réclame la libération de tous les prisonniers ; Riel accorde la requête, et tous les prisonniers sont relâchés.


À la fin de mars, les trois délégués partent pour Ottawa, afin de négocier la liste des droits. Mais celle-ci avait été modifiée sans l’aval du gouvernement provisoire. Riel et ses collaborateurs avaient pris cette initiative. Elle exigeait l’entrée de la colonie dans le Canada, non comme un territoire, mais comme une province, une province constituée comme celle de la province de Québec : une assemblée législative, un conseil législatif et l’établissement des deux langues officielles : l’anglais et le français.


L’abbé Ritchot avait en sa possession l’ancienne liste des droits ; en outre, celle-ci comportait une clause, instituant des écoles confessionnelles (catholiques et protestantes).


Le 28 mars, Riel demande à CBH la reconnaissance du gouvernement provisoire et un prêt de 4000 livres sterling, pour l’entretien de ses soldats, moyennant quoi il libérera le Fort Garry, pour qu’il puisse continuer ses opérations commerciales, celles-ci par ailleurs n’ayant pas totalement cessées d’exister. Le gouverneur Mactavish n’est pas en position de refuser. Il consent ; mais, Riel demeure quand même au Fort, dans un espace restreint.


Des rumeurs à l’effet que la liste des droits avait été modifiée, et que le nom d’Assiniboia avait été remplacé par celui de Manitoba, forcèrent Riel à dire la vérité à ses risques ; les anglophones en prirent ombrage.


Dès que l’Ontario apprit l’exécution de Thomas Scott par le conseil de guerre du gouvernement provisoire, une vague de vengeance souleva les Orangistes. Le docteur Schultz et Charles Mair, qui participaient aux manifestations, aiguillonnaient les passions des gens ; pour empêcher le fédéral de négocier avec les délégués de la Rivière-Rouge.


Le 12 avril, les deux délégués Scott et Ritchot arrivent à Ottawa ; ils sont reçus par Georges-Étienne Cartier. Un mandat signé par un juge est émis contre eux pour meurtre ; ils sont arrêtés, mais un autre juge les fait libérer immédiatement. Un second mandat est immédiatement émis ; ils sont de nouveau arrêtés et incarcérés ; mais on fait intervenir J.H. Cameron, avocat célèbre ; il défend les inculpés ; il règle l’affaire dans les coulisses ; ils sont libérés ; ces délégués bénéficiaient évidemment de l’immunité diplomatique.


Pendant ce temps, le troisième délégué, le juge Black arriva dans la capitale canadienne, s’entretint avec le premier ministre, Macdonald ; celui-ci espérait de se le rallier, espérant ainsi réduire la liste des droits, jugée présumément excessive.


Du côté gouvernemental, John A. Macdonald et Georges-Étienne Cartier sont chargés des négociations.


Avant les pourparlers, Ritchot tenait mordicus à la reconnaissance officielle de la délégation, comme les représentants du gouvernement provisoire. Car l’officialité du gouvernement provisoire était l’argument décisif de l’amnistie générale, incluant l’exécution de Thomas Scott par le conseil de guerre de ce gouvernement. Cartier lui fit savoir que l’invitation des trois émissaires à négocier équivalait à la reconnaissance officielle. Ritchot est insatisfait de cette réponse ; il menace le ministre de la milice de retourner dans le Nord-Ouest. Les historiens diffèrent d’opinion à ce propos : est-ce que l’invitation des délégués à négocier équivalait à une reconnaissance du gouvernement provisoire ?


Cartier et Macdonald ne voulaient pas exacerber davantage les passions de l’Ontario en reconnaissant le gouvernement provisoire.


Le 26 avril, Joseph How, le secrétaire d’État aux provinces, invitait les délégués du Nord-Ouest à rencontrer les représentants du Canada, Macdonald et Cartier.


Les discussions durèrent 75 heures ; Sir Clinton Murdoch surveillait les négociations au nom du ministère britannique des colonies.


En somme, les demandes des délégués ne consistaient qu’à la création d’une autre province, à l’image de celle de la Province de Québec, soit l’entrée de la colonie de la Rivière-Rouge dans la Confédération canadienne.


Le 4 mai 1870, le projet de loi est présenté et adopté aux communes, en première lecture. Les 11 et 12 mai, adoption et sanction royale du projet de loi, avec l’amendement exigé par les anglophones, celui d’inclure dans le nouveau territoire la paroisse anglaise de Portage-la-Prairie. Le 15 juillet, le Manitoba devenait « grâce à Louis Riel » une province du Canada.


L’acceptation de tous les droits des insurgés par le gouvernement fédéral avait révolté les ontariens.


Une expédition militaire dans le Nord-Ouest devenait nécessaire pour satisfaire ces derniers, qui manifestaient fort leur mécontentement. Pour ne pas se mettre à dos la province francophone de Québec et pour plaire à l’Ontario, Macdonald avait fait appel à Londres. « Le 6 mars, le câble officiel, qui promettait l’assistance militaire britannique, arriva à Ottawa. »


Tout le Québec était opposé à cette expédition militaire ainsi que Cartier ; c’était en quelque sorte la contrepartie obligatoire au fait que le gouvernement fédéral avait cédé à toutes les demandes des insurgés. Cartier comprit que c’était la condition afin que le fédéral ne s’aliénât pas toute l’aile ontarienne.


Lors des négociations, Cartier avait donné à Ritchot seulement une promesse verbale de l’amnistie ; le cabinet n’avait pas pris position à ce sujet.


Le gouverneur-général du Canada, Sir John Young envoya au ministre des colonies, Lord Granville, une requête de Cartier et une pétition du docteur Lynch, signée par des ontariens. La requête réclamait de la Reine l’amnistie des rebelles (toutefois, il n’était pas spécifié qu’elle émanait du cabinet des ministres, canadien) ; tandis que la pétition affirmait que l’amnistie serait « peu judicieuse, impolitique et dangereuse ».


Le gouvernement canadien voulait que l’amnistie soit accordée par Londres, car la rébellion était survenue sur le territoire du Nord-Ouest, qui était alors sous sa juridiction. Ainsi, il se lavait les mains vis-à-vis des ontariens de cette amnistie.


L’abbé Ritchot, le plus coriace des négociateurs, avait reçu seulement des garanties verbales, à l’effet que l’amnistie serait accordée, de la part de plusieurs intervenants : de Mgr Taché, de Cartier, du gouverneur-général Young, du surveillant de la négociation, Sir Clinton Murdoch. Mais aucune garantie écrite n’avait été donnée.


Ritchot arriva à la Rivière-Rouge le 17 juin 1870 ; Riel et la population l’attendaient avec impatience. Il annonça que les militaires viendraient, mais que l’amnistie serait proclamée prochainement par la Reine, comme on le lui avait dit. Riel, cependant, se méfiait.


Le 23 juin, Ritchot répéta à peu près la même chose devant le conseil du gouvernement provisoire, notamment que « l’amnistie relevait de la compétence impériale et non de celle du Canada, parce que les infractions avaient été commises avant l’entrée du Manitoba dans la Confédération. »


Adams G. Archibald avait été nommé le nouveau lieutenant-gouverneur de la nouvelle province ; il était bilingue et avait été un des pères de la Confédération, et plus diplomate que son prédécesseur William McDougall. Il entrait en fonction le 15 juillet 1870, date de l’entrée de la nouvelle province dans la Confédération. Entretemps, le gouvernement provisoire demeurait en fonction.


Mgr Taché s’inquiétait de l’envoi de troupes militaires à la Rivière Rouge. Il s’entretint avec le lieutenant général, James Alexander Lindsay, qui avait affecté le colonel Garnet Wolseley à la tête du corps expéditionnaire. Il reçut l’assurance que c’était une expédition militaire de paix ; mais plusieurs métis et anglophones n’attendaient que l’arrivée des troupes pour exercer quelques revanches, et voir quelques pendaisons. Riel aussi était anxieux. Il se chargea lui-même à son corps défendant de faire imprimer la proclamation du colonel Wolseley, qui lui arrivait de port Arthur : « Nous vous apportons la paix…et le seul objet de cette expédition n’est que de faire voir l’autorité de la Reine. Les soldats que j’ai l’honneur de commander ne représentent point de parti, ni de religion, ni de politique, et ils sont venus exprès pour protéger la vie et les biens de tous, sans distinction de race ou de culte. »


Joseph Howe, secrétaire d’État aux colonies, avait bien spécifié que le seul but de l’expédition était seulement de rétablir l’autorité de la Reine et la confiance parmi les sujets de sa Majesté.


Mille hommes environ formaient le corps expéditionnaire : 350 britanniques ; 362 québécois, dont 77 étaient canadiens-français, les autres des militaires ontariens ; quelques-uns s’étaient enrôlés par esprit de vengeance.


Le 22 août 1870, les troupes arrivèrent à la Rivière-Rouge. Mgr Taché se fit rassurant parmi la population inquiète ; mais Louis Riel était très nerveux. Tôt un matin, un colon anglais vint l’avertir : « Pour l’amour de Dieu, sauvez-vous ; les troupes ne sont qu’à deux mille de la ville, vous allez vous faire massacrer. ». Riel et O’Donoghue s’enfuirent en vitesse.


Le colonel Wolseley écrivit plus tard que, lorsqu’il apprit la fuite de Riel, ce fut une grande déception pour tout le monde, et que, personnellement, il n’aurait pu le faire pendre, mais il l’aurait pendu en le capturant, les armes à la main contre la souveraine. Il avait sans doute oublié que le but de sa mission était pacifique.


Riel se consola en pensant que sa mission était terminée, qu’il avait sauvé « l’élément français du Nord-Ouest et les droits des Métis par le Bill du Manitoba. » Il s’était réfugié au Dakota du Nord, U.S.A., à la mission Saint-Joseph.


Il n’y avait plus de gouvernement dans la colonie ; tous les dirigeants avaient fui et restaient cachés. Le colonel Wolseley demanda à Donald Smith d’assurer l’intérim, en attendant l’arrivée du lieutenant-gouverneur.


Puis, ce fut le commencement d’une petite guerre civile, alimentée par le docteur Schultz et ses partisans, avec au cœur la rage de venger la mort de Thomas Scott ; ils s’en prirent aux Métis et à l’élément francophone, qui avaient appuyé le gouvernement provisoire. Les conflits ethniques, qui avaient été longtemps une source de division, au Canada, reprirent à la Rivière-Rouge.


Ni le colonel ni le lieutenant-gouverneur Archibald, ne parvinrent à calmer le petit groupe d’anglophones, qui s’étaient jurés de venger la mort de Scott. Ce dernier écrivit : « Beaucoup d’entre eux (métis) ont été tellement battus et ont subi tellement d’outrages qu’ils croient vivre dans un état d’esclavage. Ils disent que la haine de ces gens (les volontaires) est pour eux un joug si insupportable qu’ils s’y soustrairaient volontiers à aucun prix ».


Elzéar Goulet avait fait partie du conseil de guerre ; il fut reconnu par un type qui avait été emprisonné au Fort Garry ; poursuivi par deux autres jusqu’à la rivière, il se jeta à l’eau ; on lui lança des pierres ; il se noya ; son corps fut repêché, une blessure à la tête. Deux individus furent identifiés comme les poursuivants de Goulet ; un mandat d’arrêt fut émis contre eux, mais personne ne fut appréhendé.


François Guillemette fut assassiné aux États-Unis, dans des circonstances nébuleuses ; il avait donné le coup de grâce à Scott.


André Nault, cousin de Riel, avait voté la mort de Scott, avait dirigé le peloton d’exécution ; il se refugia aux États-Unis, mais une quinzaine hommes le pourchassèrent, l’assaillirent ; on lui asséna un coup de baïonnette ; on le crut mort ; un Métis, bon samaritain, l’amena chez lui ; il guérit.


Thomas Spence, directeur du New Nation, fut aussi battu.


« Tous ces actes voulaient venger la mort de Scott et aucune mesure officielle ne fut prise pour punir les coupables, par crainte, semble-t-il, de provoquer un soulèvement général ».


Ensuite, Riel, soucieux d’aider ses amis agressés, fit un bref séjour à St-Norbert, en rencontra une quarantaine dans une réunion ; une pétition devait être adressée au président américain Grant, par O’Donoghue ; la requête réclamait l’intervention de l’exécutif auprès de la Reine. Il semble que ce dernier, au lieu de lui remettre, ait voulu convaincre le président d’annexer le Nord-Ouest aux États-Unis.


Une fois arrivé dans le Manitoba, Archibald décida à titre de lieutenant-gouverneur, de nommer un ministre anglophone, Alfred Boyd et un ministre francophone, Marc Girard ; pour maintenir le caractère bilingue de la province ; il était beaucoup plus sympathique aux Métis et aux Canadiens-français que son prédécesseur, McDougall. Il s’était lié d’amitié avec Mgr Taché.


Le recensement de la population, qu’il fit faire, releva 11,963 habitants, ainsi répartis entre les ethnies : 558 Indiens, 5,757 Métis, 4,083 Half-breeds et 1,565 Blancs. La carte électorale fut établie ainsi : le territoire du Manitoba fut divisé en 4 circonscriptions fédérales et en 24 circonscriptions provinciales.


Riel refusa, à regret, d’être candidat aux élections, prévues en décembre 1870 ; il lui était interdit de siéger à la nouvelle assemblée législative. Le résultat du scrutin le consola ; 17 députés sur 24, dont il favorisait l’élection, furent élus ; et son ennemi le docteur Schultz fut battu dans la circonscription provinciale par Donald Smith ; par contre, au scrutin fédéral, qui se tint un peu plus tard, Schultz fut élu député dans Lisgar. Notons qu’un député, à l’époque, avait le droit d’être député à Ottawa et dans une province, en même temps.


En février 1871, Louis Riel, accablé de soucis relatifs à sa sécurité et aux besoins financiers de sa famille, tomba gravement malade ; sa mère alla le soigner aux États-Unis ; il se rétablit au mois d’avril.


Source : Louis Riel, Un destin tragique, par Bernard Saint-Aubin, Les Éditions La Presse, Ltée, 1885.




Citadelle III, acrylique sur toile, 50,8 x 61 cm

Artiste peintre : Pierre-Émile Larose



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