Histoire de chien
- pelarose
- 3 janv. 2021
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 févr. 2021

Karénine, la chienne chérie de Tereza décéda d’un cancer ; elle l’ensevelit au pied d’un arbre de son choix, avec amour. Ce n’est pas d’aujourd’hui que s’établit, entre les humains et la race canine, un attachement réciproque.
Je crois qu’il y a un manque flagrant d’amour fraternel entre les hommes. Les animaux peuvent toujours le suppléer comme l’envisage Tomas, le mari de Tereza ; et aussi la régression et le romantisme dans la nature est un choix comme un autre. Quand la dépersonnalisation pointe à l’horizon, il est nécessaire de s’accrocher à la première bouée venue. Toutefois, il n’y aurait pas de problème si tous les propriétaires de chiens étaient responsables de leurs animaux préférés. Mais la négligence est aussi difficile à endiguer que l’eau d’une inondation. Il y a toujours un trou imprévu dans la loi où s’engouffre l’irresponsabilité.
Je transportais des voyageurs dans ma voiture. Je me rendais dans un village du nord. J’arrêtai mes chevaux à un mauvais endroit. Les passagers descendirent, et durent marcher dans la neige. Ils arrivèrent à un escarpement, au bas duquel la rue principale s’étendait. Ils l’empruntèrent en contournant l’excavation. J’entrai dans la maison de mon hôte. Celui-ci avait un chien élancé, au poil rasé de près, haut sur pattes, et au caractère « bon enfant ». Je m’assis sur un banc. Le chien se tenait entre moi et le propriétaire, qui m’avait invité à partager sa vie. De temps en temps, le gros chien ouvrait sa gueule et saisissait mon poignet, sans toutefois le mordre. Je craignais d’être mis en pièces, disais au chien de se tenir tranquille, et lui donnais une tape sur la tête. Alors le chien s’adoucissait, mais il recommençait son manège, tout en fixant son maître d’un œil interrogatif comme pour lui demander comment agir ; le maître donnait toute liberté au chien, ayant confiance en lui. Je me tenais sur le qui-vive ; je me trouvais à tout instant à la merci du chien. Ce rêve signifie que toute personne qui se promène sur le trottoir peut être attaquée par un chien dangereux ou un fou.
À 8 ans, j’avais été attaqué par un gros chien noir, poilu ; j’avais eu plus de peur que de mal, car la matrone l’avait aussitôt sifflé, et le molosse, qui avait déjà mis ses grosses pattes sur moi, s’était escamoté en courant vers sa maîtresse.
Ma mère aimait posséder un chat et un chien, l’un pour les souris et les rats de la cave et l’autre à titre de bon compagnon pour les enfants. Marquise avait marqué la famille par sa finesse et son enjouement. Elle était déjà morte quand je pris conscience de ma propre existence. Mais cette chienne était vivante dans le souvenir de mes frères et sœurs, qui la racontaient. Ils ne tarissaient pas d’éloges à son égard.
Mais Bibi la chienne de Grégoire, mon frère, je l’ai bien connue ; je l’ai photographiée dans sa danse d’un soir ; dans une cabane au bord de la rivière White Goose, en Abitibi ; une excursion de pêche aux dorés et brochets. Mon frère lui lançait des croûtons qu’elle attrapait au vol, en sautant ; puis, elle se tenait aux aguets. Je vous la présente dans sa plus belle performance. Son maître lui faisait faire ce qu’il voulait ; elle lui obéissait au doigt et à l’œil. Il lui entrait la main sous ses crocs sans aucun danger. Un chien bien traité n’est jamais dangereux pour celui qui le nourrit, à moins qu’il ne soit enragé ou pris de lubie subite. Il en va autrement envers un étranger ; car le chien est susceptible de jalousie ; il faut craindre ses morsures. Et la rage traîne aussi bien dans la gueule d’un chien que dans le cœur d’un humain.

« Maman » n’avait pas d’argent pour acquérir un chien, mais il y en avait toujours un chez nous. C’étaient tous des chiens bâtards, desquels un quidam voulait se débarrasser, sans avoir à payer. Elle était preneuse. La plupart du temps, ils finissaient leur vie en se faisant frapper par une automobile. Le dernier en date, je l’avais enterré. Il s’appelait Flic ; Luc l’avait apporté à la maison. Tous les matins, Clothilde apportait la Presse de la veille à « maman » ; puis un beau jour, Flic avait mordu la cousine. Instinct défensif, jalousie de l’animal ? Pourtant, c’était un bon chien, docile et obéissant. Je l’entraînais à jouer et le chien me suivait toujours dans mes promenades. Un après-midi morose, où j’en avait marre, je me mis à le frapper en lui donnant des coups de pied, pour le tester, pour voir s’il était vraiment mon ami (contre toute raison) ; à chaque coup, le chien revenait auprès de son persécuteur, piteux et larmoyant, se questionnant sur ma santé. À la fin, je me remémorai la sentence de mon docteur : « Si on bat un chien, il vous mord ». J’arrêtai immédiatement ma malice.
Il y aurait beaucoup à raconter au sujet des chiens et des animaux en général et de la relation entre le règne animal et le règne humain ; depuis le tout début de l’humanité il y a des millénaires. Dans les premiers temps, qui le premier sut que l’autre était un animal ou un humain ? Laissons au passé ce récit inimaginable ; et pour un moment, réfléchissons.
Au sujet de l’idée de l’évolution des espèces, des animaux en voie de disparition, notamment celle de l’espèce humaine. Est-ce qu’elle évolue, soit change-t-elle pour le meilleur, ou bien régresse-t-elle, pour enfin disparaître ? À considérer les choses, nous porte à la colère, à la révolte. Surtout quand l’ensemble des populations et leurs gouvernements semblent insensibles aux avertissements des experts.
Quand je lus que Tomas croyait que Karénine, la chienne de Tereza, pouvait suppléer au manque d’amour de son mari, j’eus d’abord un haut-le-cœur ; ensuite un point me fit mal au niveau de sa poitrine ; je me pliai en deux pour faire résorber la douleur ; ça me plongeait dans l’angoisse ; celle-ci disparut lentement en même temps que mon mal. Je me redressai et m’assis ; ma respiration se rétablit progressivement, en prenant de grandes respirations. Je réalisai alors que ce qui m’avait choqué était que mon amour pour la race canine venait en contradiction avec mon amour pour l’humanité et son évolution. J’eus l’impression que cette lecture venait condamner l’humanité à sa disparition pour l’amour répandu qu’elle vouait aux chiens, dans une mesure supérieure à celle qu’elle vouait à l’enfant des hommes. Je ne pouvais croire que les hommes avaient si régressé qu’ils s’abaissaient au niveau de ce règne inférieur, pour obtenir les plus belles satisfactions de l’amour. Que Tereza ait besoin de sa chienne, pour s’élever dans l’intensité de l’amour, cela dépassait mon entendement.
Est-ce que j’avais raison ? Où se trouvait la faille dans mon raisonnement ?
Je me mis à réfléchir sur les évènements du passé. Faulkner m’avait fait revivre dans son roman « descends, Moïse », la scène mythique, qui s’était passée dès l’origine de l’humanité entre l’homme, son chien et l’ours sauvage. Résumé : après avoir domestiqué le chien, celui-ci aida l’homme à tuer l’ours. Le dressage du chien, prisonnier de l’homme, mais son serviteur. La limite de la servitude. J’étais convaincu que mon ami Flic m’aurait dévoré, si nous étions trouvés tous les deux, affamés et isolés, sans aucun secours, dans un enclos. Alors j’aurais attendu le moment propice pour tuer mon ami, et le manger, avant que le chien me tuât et me dévorât. Pour survivre. La loi de la jungle. Ensuite, j’aurais enterré religieusement les restes de mon ami, l’aurait pleuré et remercié de s’être sacrifié pour moi.
La servitude a ses limites ainsi que les lois. Peut-on légiférer pour empêcher le chien de défigurer une fillette ou d’attaquer à mort un humain ? Certes oui, mais le point capital est que la loi soit efficace et juste. En outre, il est indubitable que les lois protectrices doivent aussi bien encadrer l’animal que l’humain. Dressage pour les chiens et éducation pour les hommes.
Même si l’histoire d’Ulysse et de son chien est sublime, il ne faut pas oublier que la rage n’est pas une propriété exclusive à l’animal, et que la métaphore d’Homère ne met en lumière que la beauté de la chose. Que le chien Argos ait attendu le retour de son maître, pendant vingt ans, dans l’ennui et dans un état piteux et misérable, et qu’il ait expiré aussitôt après qu’il eut reconnu son maître : tout cela n’est que de la poésie et lyrisme. Ça ne reflète pas toute la réalité. L’homme a tendance à transférer son âme dans celle de l’animal, de s’identifier à lui, à cause de son incomplétude et de son besoin d’affection.
Depuis Darwin, l’homme sait qu’il descend de l’animal ; depuis Freud il sait qu’il est un animal, intelligent et plein d’instincts mauvais, d’inhibitions et de défauts dans sa psyché. Depuis les temps modernes, les animaux prennent de plus en plus de place chez les hommes. Autrefois, la frontière était claire et nette entre le règne animal et le règne humain. Alors, les animaux étaient les serviteurs de l’homme, comme le cheval, l’âne, le chameau ou le chien, et le chat pour la vermine, et le rat ou la souris aux fins de cobaye pour la science. Chaque règne avait une place déterminée. Leur frontière était étanche ; aujourd’hui, elle s’efface de plus en plus, devient poreuse, en sorte que l’espace des animaux envahit l’espace humaine. Ce n’est pas sans risque et sans danger.
Diverses raisons à ce phénomène. La conscientisation des humains aux espèces animales menacées d’extinction. La disparition des animaux menace la survie de l’humanité. En sont affectés les éléphants, les grands cétacées, les grands singes, les abeilles etc., et la liste est longue selon les experts et lourde de conséquence.
Ainsi de plus en plus de droits sont accordés aux animaux. Société protectrice. Droits accordés par des chartes. Manifestation contre la vivisection, contre le gavage des oies, contre l’abattage inadéquat des porcs, contre la chasse des phoques, contre l’euthanasie des cerfs nuisibles, et en faveur de leur transport. Ils ont leurs psychologues, leurs hôtels, leurs salons de toilettage, leurs salles de sport, leurs centres spécialisés, leurs nourritures spéciales, leurs cimetières. Les valeurs des humains passent aux animaux. On ne tolère plus qu’on les fasse souffrir, qu’on les maltraite.
S’approcher de la nature animale ne va pas sans son lot de risques et de dangers. Des films d’horreur courent les rues quand on voit une fillette se faire défigurer par un chien dangereux, ou une femme se faire attaquer à mort, ou un cobra dévorer un enfant au berceau. Et les loups, les lynx, les ours qui bénéficient de la protection de la loi, et dont les attaques contre les humains sont souvent meurtrières. Sans oublier les zoonoses, ces maladies infectieuses ou parasitaires qui se transmettent des animaux à l’homme, comme la tuberculose, la rage, la brucellose, le coronavirus (vache folle, grippe aviaire etc.). L’expérimentation dans les laboratoires, pour faire avancer la science, découvrir les nouveaux virus et fabriquer des vaccins, comporte aussi ses risques.
Le développement de la technologie par l’homme, dont la finalité est de lui être utile et profitable, commence à lui être dommageable. À plus d’un aspect. Premièrement, la planète souffre de l’exploitation indue de la nature. Il n’est pas nécessaire de le démontrer. Deuxièmement, l’homme en souffre aussi parce que la technologie affecte son comportement et ses mœurs ; elle s’interpose entre lui et la nature de laquelle il est issu, dont il dépend. C’est pourquoi, il a tendance à y revenir pour s’y ressourcer. Par ailleurs si cette nature est attaquée par la technologie, qui est son produit, et dont il dépend aujourd’hui comme il dépend de la nature, l’homme se piège lui-même. Expression populaire : il se tire dans le pied. D’où le cynisme, le radicalisme, le je-m’en-foutisme.
Une matière à réflexion.
Je reviendrai, dans le prochain blogue, aux personnages de Milan Kundera : Tereza et Tamina et autres.
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